Né en octobre 1917 et décédé en septembre dernier à près de cent ans, le Père René Laurentin, expert au Concile Vatican II, a été prêtre, exégète et théologien. Il a aussi travaillé comme chroniqueur religieux au Figaro. Il s’est notamment spécialisé dans les questions mariales. Si sa position à l’égard des apparitions de Medjugorje lui a valu plusieurs critiques, son érudition en ce qui concerne la théologie mariale est reconnue. Qu’en est-il alors de l’actualité du modèle que représente la Sainte Vierge pour les femmes d’aujourd’hui ?
Tout d’abord, il constate la difficulté de ce thème à perdurer. « Marie, modèle de la femme », cela sonne un peu désuet: peu de femmes se sentent encore appelées à imiter la Sainte Vierge. René Laurentin parle à propos d’un tel phénomène de « détachement tranquille », et le malaise est « d’autant plus dangereux qu’il est inexprimé. »
Causes multiples
Certes le quotidien des femmes d’aujourd’hui n’est plus celui de la jeune fille de Nazareth: cette différence dans le mode de vie et les activités féminines, qui ont connu un changement brutal au cours du siècle dernier, explique en partie la difficulté des femmes à s’identifier à la Mère du Christ.Mais René Laurentin soulève une autre réalité: la virginité de la Vierge n’est plus valorisée. Au contraire, elle irrite: « [nos contemporains] valorisent l’accomplissement de la femme dans la ligne d’une sexualité accomplie physiologiquement et psychologiquement […] Ils tendent à voir en la Vierge Marie un type de féminité incomplet ou sous-développé. »
Cette incompréhension quant à la virginité de Marie pointe vers un autre malentendu: le célibat qui relève de la vie consacrée. René Laurentin explique à ce sujet que « le propos de ne point connaître d’homme n’est pas, chez Marie, incapacité de se donner à un homme […] Il s’agit bien ici d’une vocation à un don de soi: à cette forme de don qui est folie selon la sagesse de ce monde, mais qui appelle le renoncement aux biens de ce monde: par la pauvreté, car la richesse partage le cœur fragile de l’homme (Mt 6, 21 et 24), et par la virginité car le don de soi qui se réalise dans l’ordre de la sexualité implique une exclusivité, donc certaines limites (1 Co 7, 32-35). »
Mariage et virginité
Pour autant, le Père Laurentin ne manque pas de souligner toute la valeur du mariage. Celui-ci requiert également le don de soi, il est un « appel à sortir de l’égoïsme ». Et le célibat (spécialement en-dehors de la vie consacrée) exprime trop souvent, aujourd’hui, la difficulté de nombreuses personnes à s’engager d’une manière ou d’une autre, que ce soit dans la vie consacrée, dans le mariage ou dans toute forme d’activité qui relève d’une cause noble. « La virginité ne prend sa valeur que comme moyen de réalisation d’une finalité supérieure », précise ainsi René Laurentin. Le mariage ne vaut donc pas moins que la virginité. La virginité de Marie exprime plutôt sa vocation à accueillir le Salut par le don exclusif de sa personne à Dieu, et par là à l’humanité tout entière. Pour autant, la Vierge n’en était pas moins l’épouse de Joseph : sa virginité n’exclut pas le mariage, quoiqu’il s’agisse d’un cas particulier puisque Marie est toujours restée vierge.Si la Vierge se distingue en cela des femmes mariées, peut-être faut-il citer ici les paroles de Boris Pasternak dans Le docteur Jivago : « Il m’a toujours semblé que toute conception est virginale et que ce dogme ne concerne pas seulement la sainte Vierge mais exprime une idée générale sur la maternité. » Qu’il y ait intervention masculine ou non, la maternité, lorsqu’elle est vécue avec foi, procède de la disponibilité à recevoir en soi la joie d’une vie nouvelle. À travers chaque enfant qui vient au monde s’accomplit la volonté de Dieu : chaque naissance est une victoire sur le néant en tant qu’ « absence de vie ». C’est toujours un nouveau commencement et en cela, chaque naissance est l’œuvre de l’Esprit Saint. Même si le cas de la Sainte Vierge est tout à fait particulier, il symbolise donc une vérité profonde pour toutes les femmes qui ont eu la joie de donner la vie.
Quant aux hommes, la conception virginale peut devenir le symbole d’une réalité spirituelle: celle de l’accueil de Dieu au sein de l’âme humaine, pour offrir ensuite le don reçu au reste de l’humanité. Bien sûr, cela vaut pour les femmes également.
Virginité de la Vierge
Enfin à l’encontre de l’idée selon laquelle le christianisme aurait réduit la femme à son rôle d’épouse et de mère, René Laurentin explique que la perspective chrétienne est toute autre. À l’évidence, le discours chrétien accorde une grande valeur à la fonction maternelle, non parce que la femme ne serait que mère ou épouse, mais parce que la maternité et la vie conjugale sont une occasion pour la femme de s’accomplir en tant que femme et de sanctifier sa féminité. La maternité implique en effet le don et la consécration de soi à un autre, c’est-à-dire ici l’enfant: « Si la femme ne doit pas pour autant être réduite à la maternité, la maternité est, selon l’Écriture même, un élément de son accomplissement : ‘La femme sera sauvée en devenant mère’ (1 Tm 2, 15) ».Cela n’exclut pas qu’en tant qu’être humain, la femme puisse s’accomplir et se sanctifier par d’autres moyens. Ainsi les femmes n’ont pas d’abord pour unique modèle la Vierge, mais le Christ est aussi un modèle pour tous les êtres humains.
Or, tout en admettant que la femme n’a pas à être « réduite » au rôle d’épouse et de mère, il importe de ne pas empêcher les femmes de remplir ces deux rôles si elles le souhaitent. Ainsi il n’est pas nécessaire d’amputer la femme de sa fonction maternelle pour prouver qu’elle est effectivement un être humain à part entière. Dans nos sociétés où les femmes sont peu valorisées en tant que mères et épouses, la Vierge nous rappelle toute la dignité de ces fonctions.
MMH
Paru le 21 février 2018 sur CathoBel: https://www.cathobel.be/2018/02/21/redecouvrir-virginite-de-sainte-vierge-rene-laurentin/
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