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dimanche 26 mai 2019

Stérilité. Faire le deuil de la maternité



Espérer fonder une famille, et se découvrir stérile. Souhaiter devenir mère, et apprendre que cela n’aura pas lieu. La stérilité (ou l’infertilité) est tout d’abord un choc. Pour le surmonter, différentes étapes sont nécessaires. Sans négliger la foi, qui peut jalonner ce parcours difficile...

Pour continuer à vivre et être heureuse, une femme stérile doit traverser une série d’étapes douloureuses, qui lui permettront de faire son deuil. Un deuil un peu particulier, à plusieurs visages : deuil de l’enfant que l’on n’aura jamais, deuil de la mère que l’on croyait pouvoir devenir et que l’on ne sera pas, deuil de cette vie de famille dans laquelle on inscrivait déjà notre avenir... C’est le deuil d’un projet, c’est le deuil d’une vie qu’il faudra porter, au lieu de cet enfant, irrémédiablement absent...

Toute personne qui vit une période de deuil passe généralement plusieurs étapes : le déni, éventuellement la culpabilité, la colère, le marchandage, la dépression, la reconstruction et finalement l’acceptation[1]. Comment ces différentes étapes sont-elles vécues dans le cas du deuil de la maternité ? Et comment les dépasser, spécialement lorsqu’on est croyant ?  

1. Le déni
La situation semble irréelle, impossible à intégrer. Une réaction peut être alors de nier la réalité : une manière de se protéger face à la douleur, qui paraît encore insupportable. Ici, une femme stérile se dira peut-être : « Et si, malgré tout, ce mois-ci je tombais enceinte ? », « Telle femme a eu un enfant alors que tout semblait perdu. Alors pourquoi pas moi ? ». Elle continue d’espérer envers et contre tout. La difficulté est qu’effectivement, il existe des cas de grossesse totalement incroyables : des femmes qui sont tombées enceintes alors que la médecine estimait cela (presque) impossible pour différentes raisons, des couples qui ont eu un enfant après cinq ans, ou même dix ans d’attente... Le problème est qu’à force de se focaliser sur ces cas à peu près miraculeux, la femme stérile reste tout simplement dans la phase de déni, ce qui bloque sa progression dans le processus de deuil. Il est important de voir les choses en face : les miracles existent, oui, mais pour combien de personnes ? Pensez à tout le chemin qu’une femme peut parcourir si elle entreprend une démarche de deuil, et a contrario à tout le temps perdu à attendre cet enfant qui ne viendra peut-être pas, à tous ces mois gâchés à espérer dans la souffrance alors qu’une autre voie est possible... Il est important de sortir du déni pour pouvoir avancer, même s’il peut être très douloureux d’admettre la réalité, de se reconnaître stérile.

Quelques phrases pour dépasser la phase de déni :
« Oui c’est vrai, je n’aurai pas d’enfant. Et je suis capable de rendre ma vie très belle malgré cela ! »
« Même si pour l’instant l’avenir me fait peur, même si la douleur paraît trop forte, je sais que ces impressions sont passagères. Ce ne sont que des illusions ! Je suis capable de plus que je ne le crois ! »

2. La culpabilité
Durant cette phase, la personne est consciente de la situation : la femme stérile réalise qu’effectivement, ses chances d’avoir un enfant sont minimes, voire nulles. Un sentiment de culpabilité peut alors émerger de manière insidieuse. Tout dépend de la situation... Si un problème médical explique sa stérilité, la femme stérile pourrait se sentir amoindrie à cause de cela, coupable en quelque sorte. Par exemple, s’il s’agit d’un problème médical qui aurait pu être traité : « Et si j’avais consulté plus tôt ? »... Dans le cas où elle est déjà proche de la ménopause : « Et si j’avais essayé plus jeune ? »... ou bien, admettons qu’elle ait contracté une maladie vénérienne l’ayant rendue stérile : « Et si j’avais mené un vie plus sérieuse ? ». S’il s’agit d’une stérilité ou infertilité idiopathique (inexpliquée), le sentiment de culpabilité peut se traduire autrement. Il s’ancre alors dans des croyances plus ou moins rationnelles... Certaines femmes stériles en viennent à se demander si, au fond, leur psychisme fonctionne bien correctement, elles scrutent tout blocage éventuel qui plongerait ses racines dans l’inconscient...  « C’est sûrement psychologique », entendent-elles autour d’elle. Alors, pleines de bonne volonté, elles décident de prendre le taureau par les cornes pour déjouer ce fameux « blocage » et entreprennent une thérapie. Ou bien : « C’est parce que tu y penses trop ». Là encore, il s’agit de travailler sur soi, de lâcher prise, de se détendre... puisque le problème semble encore venir d’elle, cette femme stérile inexorablement coupable ! Or si certains cas de stérilité trouvent leur origine dans un blocage psychologique ou dans un désir de maternité qui vire à l’obsession, ce n’est pas une généralité. Il arrive que ce soit seulement la « faute à pas de chance » ! Une femme stérile n’est pas forcément une créature monomaniaque ou déséquilibrée, elle n’est pas forcément plus rongée de névroses maladroitement refoulées qu’une mère de famille ordinaire. Des croyances religieuses malvenues peuvent s’avérer tout aussi néfastes. Certaines femmes stériles pourraient penser que leur stérilité est une punition pour un péché commis, elles scrutent alors leur passé à la loupe pour dénicher ce fameux péché et faire pénitence... Dans les deux cas, la difficulté tient à ceci : accepter qu’une situation douloureuse puisse ne pas avoir d’explication logique. C’est une véritable épreuve. C’est le problème de la souffrance de l’innocent. Et là, le besoin de tout expliquer joue parfois des tours... Du point de vue de la psychologie, l’issue pour une femme stérile réside peut-être davantage dans un travail de deuil que dans un remue-ménage (stérile, pour le coup) de son inconscient. Du point de vue religieux, la femme stérile est plus proche de Job, cet innocent qui souffre injustement et qui préfigure déjà le Christ, que du pécheur contre lequel Dieu s’acharne jusqu’à ce qu’il reconnaisse sa faute.

Quelques phrases pour dépasser la phase de culpabilité :
« Je suis tout aussi équilibrée et saine qu’une femme capable d’avoir des enfants »
« Je suis stérile et je suis innocente »
« Je ne suis pas coupable d’être stérile »
« Ne pas avoir d’enfant ne m’empêche pas d’être une femme de qualité »

3. La colère
A ce stade, la femme stérile sait qu’elle n’est ni responsable, ni coupable. Et justement, c’est alors que survient la colère. Car si elle ne vaut pas moins qu’une autre, pourquoi ne parvient-elle pas à donner la vie comme les autres femmes? « Pourquoi cette femme, qui s’est si peu ou si mal occupée de ses enfants, est-elle tombée enceinte si facilement, alors que moi, qui ai tant d’amour et de tendresse à donner, je suis stérile ? », « Pourquoi cette fille est-elle tombée enceinte alors qu’elle n’était qu’une adolescente tandis que moi, qui suis dans les bonnes conditions pour élever un enfant, je n’en ai pas? ». De telles réflexions ont de quoi la mettre hors d’elle car, c’est vrai, c’est injuste ! Le défi, ici, est d’accepter cette dure réalité : il n’y a pas de justice. Il n’y a aucune justice. La colère en effet est une émotion liée à un sentiment d’indignation ou d’injustice parfois légitime. Cette injustice nous révolte et la colère monte... Mais si l’on s’enferme dans cette colère, on ne peut que devenir aigrie et malheureuse. Et pourtant accepter de vivre une situation d’injustice n’est pas chose facile... Mais c’est aussi, la Croix : cette injustice contre laquelle se heurte notre désir d’équité.

Quelques phrases pour dépasser la phase de colère :
« Je suis stérile et c’est injuste... Oui, c’est vrai. Et alors ?! Ce n’est pas cela qui va m’empêcher d’être heureuse, selon mes propres ressources et d’une manière qui ne ressemblera qu’à moi ! »
« Je ne peux rien changer à mon incapacité à donner la vie, mais je peux envisager ma propre vie autrement, pour que cette stérilité ne me hante pas » 

4. Le marchandage
Dans cette phase, la personne tente de négocier la situation. Elle voudrait changer cette situation en promettant un changement, une amélioration de son propre comportement. Dans le cas d’une rupture amoureuse par exemple, la personne pourrait être tentée de dire à l’autre : « Si tu me donnes une deuxième chance, je te promets de me montrer plus attentionné ». Dans ce cas, pourquoi ne pas tenter le coup ? Mais dans le cas de l’infertilité, avec qui négocier ? Quelle forme prendra le marchandage ? Il peut s’exprimer notamment sous forme religieuse : « Mon Dieu, je ferai célébrer des messes autant qu’il faudra, jusqu’à ce que j’aie un enfant ! ». De cette manière, la prière peut parfois tourner à une forme de négociation ou de marchandage. On se convainc que si l’on dit autant de prières, autant de chapelets, ça finira bien par arriver... Bien sûr il est écrit : « Demandez et l’on vous donnera » (Mt 7, 7), mais ce passage fait référence aux biens spirituels, aux vertus, et non à un bonheur terrestre[2]. Un chrétien, et plus particulièrement ici, une femme chrétienne, n’est rien censé désirer que des vertus spirituelles. Il n’est pas écrit : « Demandez un bébé et l’on vous en donnera un » ! La consolation ne consiste pas en cela. Dans le désert, lorsque Satan tente de détourner Jésus de sa mission, ce dernier lui rappelle cette recommandation: « Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu » (Mt 4, 7). Nous n’avons pas à mettre Dieu à l’épreuve en marchandant avec Lui un bébé contre quelques prières... Et dans le jardin des oliviers, Jésus dit encore : « Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui soit faite. » (Lc 22, 42). Par ailleurs en commentant l’évangile de Luc (Lc 20, 27-40) et après avoir rappelé en quoi consiste la loi du lévirat formulée dans le Deutéronome, ainsi que ses implications concrètes dans le monde juif antique, Georgette Blaquière dans son livre La grâce d’être femme, note que, du point de vue chrétien, la valeur d’une femme ne se mesure pas à sa capacité à enfanter. « Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection », a déclaré le Christ. Et Georgette Blaquière commente : « Jésus ici ouvre d’immenses horizons, en particulier pour la femme, en dissociant le salut de la personne et l’avenir de l’être de l’accomplissement de fonctions mêmes "sacrées" en ce monde-ci. La personne de la femme n’est plus identifiable, ni à sa fécondité, ni à sa sexualité ; elle existe en soi, née de Dieu et pour Dieu »[3]. Puisque l’avenir spirituel de la femme ne se situe pas dans l’enfantement, mais dans le Royaume de Dieu, son désir de maternité risque de n’avoir aucun écho auprès de Dieu. Cela ne signifie pas que Dieu ait moins d’égard pour elle que pour les autres femmes. Simplement, là n’est pas l’essentiel. Et dès lors ses prières pour avoir un enfant, aussi nombreuses et sincères soient-elles, pourraient bien ne pas être exaucées...

Quelques phrases pour dépasser la phase de marchandage :
« Mon bonheur ne dépend pas de cet enfant que je n’aurai pas, mais de Dieu. »
« Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui soit faite. » (Lc 22, 42)
« Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu » (Mt 4, 7)

5. La dépression
Dans cette phase de tristesse, de chagrin, d’abattement, la personne est consciente de la situation. Elle sait qu’elle n’est pas coupable et qu’il n’y a pas lieu de crier à l’injustice. Elle sait aussi qu’il est inutile de prier ou de faire quoi que ce soit pour changer les choses... simplement la personne souffre, c’est la souffrance à l’état pur. Sans consolation. La femme stérile sait qu’elle est stérile. Elle sait que, même si les miracles existent, ses chances sont à peu près nulles d’avoir un enfant un jour. Elle sait que, même si elle prie, cela ne changera strictement rien : elle sera toujours aussi stérile. Il n’y a rien à faire. Sinon se dire que l’important, c’est le domaine spirituel. Ou bien trouver des petites consolations qui n’en sont pas vraiment : après tout, sans enfant, c’est plus facile financièrement. Maigres consolations à vrai dire... Car dans cette phase de dépression, soit on n’est pas assez saint, soit on n’est pas assez matérialiste : ni les joies célestes, ni votre compte-épargne plus ou moins rempli ne parviennent à apaiser votre chagrin. On a le cœur serré, on souffre, on a mal et c’est tout.

Quelques phrases pour dépasser la phase de dépression :
« Je me donne le temps qu’il faut pour éprouver ma peine ».
« Le chagrin est une étape, après viendra un renouveau ». 

6. La reconstruction
Durant cette phase, la personne s’ouvre à de nouveaux projets, à de nouvelles activités. La femme stérile se réconcilie peu à peu avec la réalité. Sa féminité blessée, sa stérilité ne l’empêchent plus d’envisager l’avenir de manière positive. Cette phase de reconstruction s’apparente à une forme de résilience. La résilience est la capacité à rebondir, à faire face à un choc ou un traumatisme, pour ensuite se reconstruire de manière socialement acceptable. « Personne ne prétend que la résilience est une recette de bonheur. C'est une stratégie de lutte contre le malheur qui permet d'arracher du plaisir à vivre, malgré le murmure des fantômes au fond de sa mémoire », note Boris Cyrulnik, qui a fait connaître ce concept dans le monde francophone[4]. La phase de reconstruction peut donc être véritablement éprouvante, mais la femme stérile cesse d’être esclave de sa souffrance. Dans la phase de reconstruction, la « lutte contre le malheur » est bien entamée. C’est une phase d’espoir et de renouveau. Du point de vue religieux, la femme stérile se réconcilie progressivement avec Dieu également.

Quelques phrases pour avancer dans la phase de reconstruction :
« Tout être blessé est contraint à la métamorphose » (Boris Cyrulnik)
« Si tu traverses l’enfer, continue d’avancer » (Winston Churchill)

7. L’acceptation
A ce stade, la personne endeuillée a pratiquement terminé son deuil. Pour la femme stérile, elle est parvenue à s’accepter comme telle. Elle a retrouvé sa confiance en elle et son estime de soi. Éventuellement, si elle est croyante, elle est aussi parvenue à retrouver une relation saine avec Dieu, sans culpabilisation ni marchandage. Sa foi en sera peut-être même grandie... Et la vie peut reprendre son cours. Une page s’est fermée définitivement. La femme stérile sait qu’elle ne sera jamais mère au sens naturel du terme. Ce chapitre-là ne fera pas partie du livre de sa vie, mais d’autres chapitres viendront... Peut-être certaines décideront d’adopter, d’autres se tourneront vers d’autres projets, avec ou sans enfants. Tout dépend des circonstances, de la personnalité de chacune et de l’avis de son mari...

A noter que ces phases ne se déroulent pas nécessairement de manière parfaitement linéaire: parfois, des périodes de colère peuvent être suivies d'une période de déni, puis vient le marchandage, puis la culpabilité... Et tout le monde ne passe pas forcément par toutes ces étapes. Il s'agit d'un modèle très général, qui ne s'applique pas de manière absolument systématique.

Le deuil, cette leçon de foi

Pour conclure, nos vies sont jalonnées d’une série de frustrations, de déceptions et de deuils. Le deuil est bien sûr un chemin douloureux, en général et en particulier pour la femme stérile, mais il est le seul chemin qui permette de surmonter ces frustrations et ces déceptions. « Nous portons nos propres projets qui semblent être voués à l’échec dès le début par la vie », écrit Sœur Maria Grace lorsqu’elle présente la biographie de Sainte Gemma Galgani[5]. Si cette sainte, vierge et mystique, n’a pas été confrontée au problème de la stérilité puisqu’elle n’a jamais été mariée, elle a vécu des deuils importants et pour Sœur Maria Grace, l’exemple de Gemma Galgani permet de mieux comprendre quelle attitude doit être la nôtre lorsque notre deuil est terminé. « La vie est une série de perte, et petit à petit, nous sommes délestés de toutes les choses auxquelles nous nous accrochions. Notre façon habituelle de composer avec de telles pertes consiste simplement à endurer la douleur avec un brin d’apitoiement sur soi-même. Mais le message de Gemma est le suivant : Ne laissons pas nos pertes nous être simplement arrachées, mais cédons-les volontairement, et de bon cœur, avec amour au Seigneur ». Une attitude d'abandon total et d'adhésion parfaite à la volonté de Dieu, qui n’est sans doute possible qu’au terme d’une longue démarche... En attendant, femme stérile, prenez soin de vous et donnez-vous le temps de devenir un jour, petit à petit, une femme stérile parfaitement épanouie, pleine de foi et d’espérance !

Madeleine-Marie Humpers

Illustration: CC-BY-SA Madeleine H.


[1]En 1969 la psychiatre suisse Elisabeth Kübler-Ross a identifié cinq étapes du deuil, lorsqu’elle s’intéressait aux personnes en fin de vie. Ce modèle a été repris de manière plus large pour  décrire le deuil en général, mais il a aussi été modifié et/ ou étoffé. La phase « culpabilité » (ou « douleur ») n’apparaît pas tel quel dans le modèle du Dr Kübler-Ross, et la phase « reconstruction » se fond dans la phase d’ « acceptation ». 
[2] « 7Demandez, et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira. 8Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l'on ouvre à celui qui frappe. 9Lequel de vous donnera une pierre à son fils, s'il lui demande du pain? 10Ou, s'il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent? 11Si donc, méchants comme vous l'êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent » (Louis Segond).
[3] Georgette Blaquière, La grâce d’être femme, Saint-Paul, Paris-Fribourg, 1988
[4] Boris Cyrulnik, Le Murmure des fantômes, Odile Jacob, Paris, 2002
[5] Autobiographie de Sainte Gemma Galgani en français, disponible en ligne : http://www.stgemmagalgani.com/2009/11/autobiographie-de-sainte-gemma-galgani.html

vendredi 15 mars 2019

Face à l’hypersexualisation: réconcilier pudeur et féminité

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Trop souvent la femme est présentée sous l’angle d’un érotisme provocateur. Et des adolescentes de plus en plus jeunes pensent que c’est en adoptant ce modèle qu’elles deviendront de vraies femmes. Comment déjouer concrètement ce phénomène?

La mode, ne serait-ce pas un sujet un peu trop léger, et même futile? Pas tant que ça… La pudeur prend toute sa valeur quand elle est vécue au quotidien, dans le concret de nos vies à chacun, et surtout, à chacune. Certes, elle n’est pas l’apanage des femmes, mais celles-ci sont confrontées à une tendance particulière, que de nombreux auteurs nomment hypersexualisation des filles et des femmes.
Qu’entend-t-on par « hypersexualisation » ? Pour la sexologue Sophie Morin, « l’hypersexualisation est le fait de sexualiser une chose qui ne l’est pas en soi ». Autrement dit, à travers la publicité, la mode, les médias et finalement, la société de manière générale, la féminité n’est abordée que sous l’angle de l’érotisme, de la séduction et du désir sexuel.

Mode et hypersexualisation
Aurélia Mardon, docteur en sociologie, s’est intéressée à la jeunesse, à la socialisation et aux pratiques corporelles. Elle évoque l’expression symptomatique de « mode perverse des enfants-femmes », une formule qui vise particulièrement un phénomène croissant, et inquiétant: celui de filles qui, de plus en plus jeunes, adoptent des comportements de « ‘ petites femmes’ sexy », un comportement qui résulte, selon la sociologue, « d’une segmentation des marchés qui les cible comme consommatrices »*. Elle évoque des magasins qui « proposent par exemple des modèles de strings spécialement pensés pour les adolescentes ». Or Aurélia Mardon souligne que la difficulté vient justement du fait que les jeunes adolescentes intègrent profondément l’injonction à adopter un comportement suggestif, au point d’en faire un critère de socialisation :
« On oublie souvent de rappeler que si les filles s’inscrivent dans de telles démarches ou sont tentées de le faire, c’est que ces comportements servent de support à leur sociabilité. Y adhérer, c’est non seulement pour elles une manière d’affirmer qu’elles grandissent, mais aussi de marquer leur adhésion aux normes du groupe des filles dans lequel elles sont insérées. Ceci explique que nombre de celles qui s’estimaient trop jeunes pour porter certains vêtements issus du vestiaire féminin adulte, modifient leur point de vue en entrant au collège et par l’intermédiaire des pratiques et discours de leurs pairs ».
La mode incite donc les jeunes filles à être « sexy », un anglicisme qui pourrait trouver son équivalent en français dans la définition qu’en propose le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) qui a été créé en 2005 par le CNRS au sein de l’Université de Nancy (France) : « qui suscite le désir charnel », en parlant d’un vêtement ou « qui a des formes physiques attrayantes, un comportement provocant » en parlant d’une femme. Mais n’est-ce pas intriguant que, pour ces jeunes adolescentes, devenir une femme rime nécessairement avec une forme de séduction aguichante et provocatrice ? En fait, l’hypersexualisation des jeunes filles présuppose d’abord l’hypersexualisation des femmes. La féminité et même, d’ailleurs, la séduction, doivent-elles forcément passer par une attitude aguichante ? Qu’en est-il de la pudeur ? Ne ferait-elle donc pas bon ménage avec la féminité ?

La mode « modeste »
Récemment, une jeune femme, Virginie Vota, témoignait sur YouTube« Autrefois je ne me trouvais pas jolie sans décolleté, ou si je ne montrais pas mes jambes ». Après avoir pris conscience que « les vêtements que vous choisissez de porter reflètent qui vous êtes intérieurement », elle a décidé de changer de style en optant pour des tenues plus « modestes ». Rappelons qu’autrefois en français, le terme « modestie » pouvait signifier « pudeur ». Si cet emploi a un peu vieilli, il n’en reste pas moins qu’en 1927 encore, l’écrivain Paul Bourget décrivait l’un de ses personnages en soulignant « la grâce correcte de ses manières, la modestie de sa tenue et de ses gestes »**. En anglais de même, modesty peut signifier « modestie » mais aussi « pudeur ». La « mode modeste » (de l’anglais modest clothing), signifie donc simplement « mode décente » ou « pudique ». Mais concrètement, comment s’habiller de manière à exprimer la pudeur ? La YouTubeuse remarque que cela n’est pas simple: « Dans les magasins, il devient extrêmement difficile de trouver des vêtements ‘modestes’ ou décents ». Elle a dû par ailleurs se défaire d’anciens clichés et découvrir qu’il existe une manière d’être femme tout en étant à la fois décente, distinguée et… très féminine: « La première fois qu’une amie m’a parlé de ‘modestie vestimentaire’, j’avais comme cliché mental l’idée que la modestie catholique ou chrétienne, c’était la robe jusqu’au pied, le sac informe, le gros T-shirt large… Pour moi, c’était affreux ! Et puis je me suis renseignée, et j’ai découvert ce qui m’a semblé être le paroxysme de la féminité et de l’élégance, de la délicatesse et de la distinction ».
En Russie, Katerina Dorokhova tord le cou à la fausse croyance selon laquelle, pour être féminine, il faut nécessairement s’exhiber. Mannequin, elle a créé sa propre marque pour prouver qu’une femme peut être belle et même attirante sans se dévêtir. Elle a d’ailleurs renoncé au pantalon, en privilégiant les jupes et les robes afin de valoriser un style vestimentaire proprement féminin. Selon la journaliste polonaise Tatiana Fedorchenko, l’idée est ici de « faire rayonner la chasteté des femmes »***. Pour soutenir son projet, elle a élaboré le concept de « mode pure » (Чистая мода, « Tchistaya Moda » ou « Pure Fashion »), du même nom que la marque. Celle-ci « a conquis des dizaines de milliers de personnes, note encore Tatiana Fedorchenko. Grâce à sa personnalité unique, Katerina Dorokhova a pu aller à l’encontre de l’industrie de la mode. Son exemple prouve qu’il est possible de réussir sans trahir ses idéaux et mieux encore: en suivant ses idéaux ».
En Belgique et en France, il n’existe pas de marque de vêtements décents de l’ampleur de la « Tchistaya Moda » russe. A défaut, sur la page Facebook de « Femme à part », Thérèse, l’administratrice, une jeune femme de vingt-neuf ans, partage avec celles qui le souhaitent diverses occasions d’achat de jupes et de robes de différentes marques et sur différentes sites, par exemple Un Jour AilleursMademoiselle Grenade ou encore la marque polonaise Marie-Zélie. Les jupes vont au minimum jusqu’aux genoux et, pour les robes, Thérèse évite les décolletés plongeants. Mais la page « Femme à part » et le site du même nom ne se limitent pas à cela: ils contiennent aussi des réflexions diverses, des conseils de lecture ou encore des citations: « Quand les femmes perdent de vue leur vocation à la sainteté, le monde entier se perd » de Crystalina Evert (écrivaine américaine, elle est l’auteure d’ouvrages tels que Pure Womanhood. Ses livres n’ont malheureusement pas été traduits en français), « Vous voulez changer le monde? Commencez par vous changer vous-même, sinon vos efforts seront vains » (Saint Ignace de Loyola), et bien d’autres… Signalons aussi le site de vente en ligne Etsy, où il est possible de trouver des robes et des jupes vintage ou réalisées de manière artisanale, et d’une certaine longueur.
En somme, face à l’hypersexualisation des jeunes filles et les femmes, il existe une manière très simple de résister: être soi-même distinguée, élégante et belle d’une beauté qui n’omet pas la décence et la pudeur, mais qui s’ancre pleinement dans la conscience d’être appelée à la sainteté. Une démarche d’autant plus urgente qu’il est grand temps d’offrir aux jeunes filles des exemples qui leur permettront de devenir, à leur tour, des femmes qui, conscientes de leur valeur, sauront refuser un modèle de séduction basé uniquement sur la dimension charnelle. Concluons avec cette citation de l’écrivaine Jo Croissant, auteure de nombreux ouvrages aux éditions des Béatitudes et notamment de La femme ou le sacerdoce du cœur« La beauté fait partie de la grâce de la femme. La femme est belle, mais sa beauté ne vient pas de la régularité de ses traits, elle vient de la présence de Dieu en elle, de la lumière intérieure qui illumine ses traits. C’est Dieu en nous qui est beau ».

Madeleine-Marie Humpers

* Aurélia Mardon, « La génération Lolita. Stratégies de contrôle et de contournement », dans « Réseaux »2011/4 (n° 168-169), p. 111-132.
**Paul Bourget, Nos actes nous suivent, Paris, Plon, 1927
***Tatiana Fedorchenko , « Katerina Dorokhova: biografia, działania i informacje zwrotne. Suknie Kateriny Dorohovoy: przegląd » (disponible en ligne ici)

Quand des jeunes femmes portent la mantille. Témoignage


Disparue, la mantille ? Que nenni ! Le dimanche matin, à Bruxelles, des jeunes femmes vont à la messe et remettent la mantille au goût du jour. Pourquoi choisir de porter ce léger voile de dentelle? Afin de mieux comprendre leur choix, nous leur avons posé quelques questions…

Anne-Chantal a 26 ans. Elle est professeure de français. Pour elle, comme pour son amie Madeleine, la mantille exprime le mystère féminin. Un choix mûrement réfléchi. 

À la question « Depuis quand portez-vous la mantille ? », Anne-Chantal répond: « Cela va faire deux ans que je porte la mantille. Pour moi, porter la mantille était comme un appel mystérieux, à la fois raisonné et dépassant cette même raison. Je m'explique. Quand j'ai décidé de porter la mantille, j'étais très consciente de deux choses, la première: que c'était un choix sérieux auquel je voulais être fidèle au quotidien, tout en gardant une souplesse face aux circonstances. La deuxième: que les raisons qui m'avaient poussée à la porter étaient solides (la demande très claire de Saint Paul et la tradition pluriséculaire de l'Eglise). Pourtant j'en comprendrais la portée plus profondément encore avec le temps, en la portant ».

Quant à Madeleine, elle raconte: « J’ai commencé à porter une mantille dès les premières semaines qui ont suivi mon baptême, il y a à peu près un an. C’est à ce moment-là aussi que j’ai découvert le rite traditionnel. Avant ça, je portais souvent un voile quand je priais seule chez moi, mais je n’en mettais pas à l’église car, dans le rite ordinaire, le voile n’est pas habituel. Je ne voulais pas dénoter ou paraître excessivement zélée ».

Humilité et abandon
Pour Anne-Chantal, porter la mantille a d’abord représenté un « saut dans le vide » : c’était « s'engager à quelque chose sans en comprendre toute la teneur et du coup, ce qui est encore plus difficile, assumer que ce ne soit pas vraiment compréhensible pour ceux que mon choix étonnait ».
À l’heure actuelle, Anne-Chantal vit le port de la mantille comme un apprentissage, l’encourageant à l’humilité et à l’abandon au Christ: « Aujourd'hui, j'ai déjà beaucoup avancé, grâce à Dieu. Sans pouvoir dire que j'ai tout compris, je comprends déjà à quel point le port de la mantille n'est pas une décoration dans ma vie spirituelle. La mantille me porte au quotidien, aussi bien quand je la porte que quand je ne la porte pas. Ainsi par exemple, elle m'apprend l'humilité. Ne pas comprendre exactement, ne pas pouvoir l'expliquer, se sentir seule parfois... et par là aussi l'abandon et la fidélité. Être fidèle à l'appel qu'on a reçu malgré les difficultés, les incompréhensions, les mauvaises passes… Le port de la mantille est donc pour un exercice quotidien de l'abandon au Christ. »
Et d’ajouter : « Je n'ai pas porté la mantille parce que je me sentais bien, au contraire, on ne se sent pas forcément bien de se sentir remarquée à cause de la mantille. Paradoxalement, c'est peut-être même cette humiliation qui m'a encouragée à continuer à la porter ».

Vie intérieure
Pour Madeleine, « voiler, recouvrir, ce peut être une manière de révéler qu’il y a, sous le voile, un mystère ». Anne-Chantal ajoute quant à elle : « Porter la mantille était pour moi se mettre entièrement sous le regard de Dieu. C'est mettre de côté les considérations humaines pour se concentrer sur l'essentiel. Quand on regarde dans une église, tout ce qui est voilé est sacré. Ce n'est donc pas un dénigrement, mais c'est une façon d'en protéger le mystère. Ainsi en va-t-il du mystère de la Sainte Vierge. Elle est habillée de façon très simple, modeste et est toujours voilée. Porter la mantille est donc aussi reconnaître le mystère spécifique de la femme, et même plus… Montrer qu'elle a un mystère à cacher, c'est aussi se concentrer sur notre intériorité plutôt que sur notre aspect extérieur ».
Avec la mantille, la dimension invisible de la personne est symbolisée par le voilement. Pour Anne-Chantal, le voile symbolise « le mystère de la vocation féminine »: cette dernière « est à la fois cachée et omniprésente, religieuse, presque mystique ». Elle ajoute que la mantille « est le point de recontre entre le mystère, qu'elle voile, et son incarnation ». « La mantille évoque pour moi la vie intérieure », précise la jeune femme.
Anne-Chantal dément l’idée selon laquelle, avec la mantille, l'Eglise, par peur de la beauté, tendrait à voiler la beauté spécifique de chaque femme : « Le port de la mantille est beaucoup plus profond que cela. En se voilant, les femmes voilent effectivement ce qu'on pourrait considérer leur beauté personnelle, mais en le faisant, elles la confient à Dieu lui-même. Elles s'en remettent à Dieu. En ce sens, la mantille est également le signe de l'abandon à Dieu et de leur vie intérieure. N'est-ce pas respecter vraiment les femmes que de faire primer la beauté intérieure sur la beauté physique ? ».

Assumer son choix
Anne-Chantal raconte la fascination que lui inspirait la mantille, qu’elle avait vu porter par d’autres femmes, avant de choisir de la porter à son tour: « La mantille m'a toujours fascinée bien qu'elle fut considérée comme "rétrograde", "pas de notre temps", etc. La fascination est toujours difficile à expliquer, mais je me souviens de l'élégance des dames qui la portaient, une distinction humble, pieuse qui donnait envie d'avoir les mêmes vertus et [en même temps] le fait que les dames qui portaient la mantille semblaient assumer ce choix dans ses conséquences: savoir qu'on se met à part en la portant ».
Lorsque nous leur demandons si, dans leur famille, d’autres femmes portent la mantille, Anne-Chantal et Madeleine répondent toutes deux par la négative. « Sans avoir été critiquée, raconte Anne-Chantal, je ne me suis pas vraiment sentie encouragée non plus. Pourtant, entre-temps, ma mère m'a offert des mantilles et une de mes sœurs en porte une de temps en temps aussi ». Un choix contagieux ! Pour Madeleine, qui a été baptisée à l’âge adulte, cette pratique n’était évidemment pas de mise. Il s’agit d’une décision libre: « J’ai décidé de porter la mantille de mon propre chef, de manière indépendante et dans un cadre strictement catholique ». Elle ajoute: « Cela ne me dérangerait pas de porter un voile ou une mantille même en-dehors de l’église, étant donné que la symbolique du voile est très belle et très riche. Le problème, c’est que le voile s’est retrouvé au centre de débats sur les femmes musulmanes. Du coup, le voile a, en quelque sorte, échappé aux femmes chrétiennes. » 

Et les hommes?
À l’église, traditionnellement, les femmes se couvrent et les hommes se découvrent en ôtant leur chapeau: « Dans notre culture, explique Anne-Chantal, un homme se découvre par déférence : en saluant quelqu'un, en passant devant une église, etc., exprimant de cette façon son humilité. Tout simplement, il me semble qu'à l'inverse,  les dames se voilent par humilité ». Mais ne serait-ce alors qu’ne simple question de culture ? Pour Anne-Chantal, cette réponse est trop simple. Elle voit dans ce mouvement conjoint un signe de complémentarité. Néanmoins, il est vrai que le chapeau se fait rare chez les hommes. Qu’à cela ne tienne: « j'ai compris qu'il ne faut pas attendre des autres qu'ils agissent pour agir. Souvent, et cela se voit de façon très particulière dans le Nouveau Testament, les dames agissent en premier, ouvrant ainsi la voie aux hommes […] Ce qui me semble important par contre, est cette complémentarité qu'il y a entre les deux ».

À Bruxelles, Anne-Chantal et Madeleine ne sont pas seules à redécouvrir l’usage de la mantille. Bien qu’elle se soit raréfiée, cette dernière n’en demeure pas moins le symbole d’une féminité mystérieuse, dédiée à Dieu et gardant comme but ici-bas, une complémentarité harmonieuse entre l’homme et la femme, dans la fidélité.

Madeleine-Marie Humpers

Image: Madeleine-Marie H. - Tous droits réservés

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