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mercredi 13 mars 2019

Voiles et mantille: histoire d’un symbole chrétien

La mantille est apparue aux alentours du XVIe siècle en Espagne. Le voile chrétien a, pour sa part, une histoire de longue date, qui plonge ses racines dans l’Antiquité. Quelle est la symbolique du voile chrétien ? Que représente-t-il ?

Généralement voilées, les femmes de l’Antiquité continueront à se couvrir les cheveux suite à l’avènement du christianisme – qu’elles soient religieuses ou laïques –. Au fil des siècles, les voiles se diversifient, servent à distinguer les ordres et les rangs et, pour les laïques, ils accompagnent les communions des filles, les noces des jeunes femmes ou encore le deuil des veuves. Quoiqu’il varie en fonction des modes et des régions, au moins pour les femmes du peuple, le voile est dans tout l’Occident chrétien une pratique répandue jusqu’au milieu du XXe siècle. Ainsi, il y a quelques décennies encore, il n’était pas rare de rencontrer une femme chrétienne portant un chiffon ou un foulard. À partir du XVe siècle, le port du voile décroît cependant de façon progressive chez les femmes de haut rang. Voiles, guimpes et gorgets disparaissent jusqu’à donner lieu à des coiffures particulièrement extravagantes au XVIIIe siècle, à  la veille de la Révolution.
L’histoire du voile en Occident ne date donc pas d’hier. Si le voile islamique attire aujourd’hui l’attention, souvenons-nous que le voile en Europe a d’abord été chrétien avant de devenir musulman. Mais comment expliquer sa pérennité durant ces siècles de chrétienté ? Que représente le voile au sein du catholicisme ?

Image du Dieu invisible

Au XXe siècle, Gertrude von Le Fort, théologienne allemande, d’origine protestante et convertie au catholicisme, s’est penchée sur la valeur de la femme en tant que symbole –avec une attention particulière sur le voile –. Son approche, exposée dans La Femme éternelle, permet d’éclairer certains discours, certaines attitudes au sein de l’Église à l’égard des femmes dès les premiers siècles.
Sous l’impulsion de saint Paul, les motifs en faveur du port du voile chrétien se teindront peu à peu, en effet, d’une connotation religieuse. Si l’exhortation de saint Paul en faveur du voile (1 Co 11, 2-16) est généralement reléguée au rang de coutumes historiquement situées, Gertrude von Le Fort y décèle une logique profonde. Pour elle, les femmes catholiques ont reçu un rôle de « représentation symbolique ». Image du Dieu invisible, la femme signifie le principe agissant, mais de manière cachée, offerte et mystérieuse à la fois: « Le dogme catholique nous montre donc toujours l’acte d’offrande en plein cœur du mystère de la femme », écrit l’auteure de La Femme éternelle. Elle précise que la « signification propre de la femme dans l’Église » est intimement liée au symbole de la maternité (qui n’implique pas nécessairement la maternité biologique). Là,  l’offrande de soi rejoint l’adhésion au projet divin. Cette adhésion profonde, c’est le Fiat de la Vierge Marie. C’est aussi l’Église qui s’ouvre à Dieu. Ainsi, dans la maternité, la femme, comme Marie, image de l’Église, se découvre  en tant que mère, non à partir d’elle-même, mais par un être qui grandit en elle, et qui est pourtant distinct d’elle-même, et qu’elle accueille comme tel: « L’Église elle-même, considérée comme mère, est un principe qui n’agit pas seul – celui qui agit en elle, c’est le Christ », rappelle Gertrude von Le Fort. Le voile devient alors le symbole visible de cette dynamique invisible et pourtant permanente d’accueil et d’offrande, de maternité et de naissance. Il signifie la miséricorde au sens étymologique et spécifiquement féminin. « L’exigence de saint Paul, conclut Gertrude von Le Fort, n’est pas une règle morale liée aux conditions d’une époque ».

Joug et liberté

À la suite de saint Paul, plusieurs pères de l’Église évoqueront la question du voile féminin, notamment Tertullien. L’auteur du Voile des Vierges affirme pleinement la valeur symbolique au voile chrétien. Le vêtement cesse d’être un simple moyen, désormais il doit signifier la vérité. À propos des bijoux dont les dames de l’Antiquité paraient leur coiffure, il écrit : « Chassez loin d’une tête tous ces embellissements qui vous asservissent […] Dieu vous enjoint d’être voilées ». Avec Tertullien, le voile s’oppose à l’asservissement et exprime la liberté. Mais dans le même temps, il renvoie au joug divin. Dans l’Exode, Dieu avait déclaré: « Quant à moi, je ne monterai pas au milieu de toi, car tu es un peuple à la nuque raide ». « Avoir la nuque raide, est une expression fréquemment employée dans l’Ancien Testament pour décrire l’orgueilleuse insoumission d’Israël devant Dieu », rappelle le théologien Daniel Bourguet. Le contraire s’illustre dans la douceur et l’humilité, alors le joug devient léger (Mt 11, 30). Ainsi pour Tertullien, « c’est la nuque en effet qui doit être soumise […] le voile est joug ». Évoquant simultanément le joug et la libération, le voile renvoie à une double dynamique dans laquelle la créature reconnaît sa dépendance par rapport au Créateur, et à partir de là, s’émancipe et, comme à la sortie d’Égypte, fait l’expérience de la liberté offerte et reçue de Dieu.

Deuil et renaissance

Au fil des siècles, les voiles se sont diversifiés. Selon les circonstances, ils ont pris parfois une valeur et une efficacité anthropologiques réelles. Ainsi les voiles de deuil disent à la fois le chagrin et le recueillement à l’écart des plaisirs et des divertissements. Le thème du deuil en particulier trouvera une grande pérennité en ce qui concerne le voile des religieuses qui, tout comme leurs confrères masculins, meurent intérieurement au monde pour renaître en Christ. Ainsi en  1678, le Père Collet écrira dans son ouvrage Du voile des religieuses: « Le voile est […] un Suaire qui publie au-dehors la mort intérieure de celle qui le reçoit ». Mort intérieure et renaissance, la dynamique symbolisée par le voile indique un processus de régénération sans cesse renouvelé.
Pour conclure, le voile chrétien ne saurait être interprété de manière univoque comme un moyen d’asservissement des femmes. De tous temps, des hommes et des femmes y ont vu une symbolique riche. Or cette richesse est liée à son ambivalence: s’il est un moyen de cacher, s’il est un joug ou encore un signe de deuil, cette part obscure du voile chrétien annonce qu’il cache pour mieux révéler, que le joug qu’il représente est en réalité celui du Christ, et que le deuil qu’il désigne tend à une vie renouvelée, loin du péché et, autant que possible, dans la joie de Dieu.

MMH [Madeleine-Marie Humpers]

Image: Domaine public

Publié le 14 mars 2018 sur CathoBel: https://www.cathobel.be/2018/03/14/voiles-et-mantille-histoire-dun-symbole-chretien/

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