A l’approche des élections, la Belgique est en plein débat sur la dépénalisation de l’avortement. L’Irlande a voté pour sa légalisation. Pourtant, les femmes qui ont subi une IVG restent généralement en retrait de ces débats politiques. Elles sont néanmoins les mieux placées pour en parler. En France, Marie Philippe a créé une association pour venir en aide aux femmes qui se posent la question de l’avortement ou qui ont subi une IVG. L’aide proposée passe par l’écoute mais aussi par l’information. Une écoute qui manque souvent à des femmes dont la souffrance est devenue presque taboue. Une information qui fait défaut, à l’heure où, par crainte d’enfreindre la loi (en France, il existe un « délit d’entrave à l’IVG »), de nombreux médecins n’osent plus évoquer les risques liés à l’avortement.
Durant des années, Marie Philippe a donc soutenu, écouté, accompagné des femmes et a recueilli de nombreux témoignages via le site de l’association (www.ivg.net) et sur sa page Facebook (@ivgoupas). Le livre qu’elle vient de publier plonge le lecteur dans la réalité de l’avortement, à partir du vécu des femmes elles-mêmes: Après l’IVG. Des femmes témoignent.
Quand l’IVG profite aux hommes…
Dans les témoignages, les pressions subies par les femmes sont frappantes. Tandis que les adolescentes sont plus souvent influencées par leur famille, entre vingt et quarante ans environ, c’est le conjoint qui est en général responsable de ces pressions, pouvant aller jusqu’au harcèlement. Ainsi Vanessa (28 ans) témoigne :
« Je suis à sept semaines de grossesse au moment où je lui annonce fermement ma décision [de garder l’enfant]. Là commence pour moi le calvaire, il se montre d’abord culpabilisant puis très menaçant, il profère ses menaces de mort par le biais de tierces personnes, proches de moi et dont il espère que leurs paroles me feront changer d’avis ; puis poursuit ses menaces envers moi directement. Il est précis et calculateur, il ne laisse pas de trace de message ou autres. Il rôde autour de chez moi, m’explique ce qu’il compte me faire et comment le faire et là, pas à pas, moi qui ne suis pourtant pas trouillarde, je prends peur ».Vanessa portera plainte, sans suite. Désespérée et terrorisée, elle finira par avorter. En France, il n’existe aucune loi qui protège les femmes des pressions subies pour les pousser à l’IVG. Le cas de Vanessa est particulièrement violent, pourtant bien d’autres femmes doivent faire face à un chantage pernicieux… « Tu avortes ou je te quitte ! ». Marie Philippe constate le véritable « pouvoir de domination » dont disposent les hommes sur leurs compagnes, spécialement en début de grossesse. « La femme qui cède est comme assujettie, opprimée par son ‘partenaire’, qui la considère plus comme un objet que comme un être humain doté d’une dignité dans toutes les composantes de sa personne, comme femme et mère ». En général, l’avortement est présenté comme une liberté, un « droit » pour les femmes, mais la réalité des pressions subies par les femmes en vue d’un avortement contredit cette représentation de l’IVG: « Dire que le ‘droit fondamental’ à l’IVG conduit à une authentique libération de la femme est un leurre », affirme Marie Philippe. « C’est là le grand paradoxe de cette liberté qui leur est donnée de faire un avortement sans aucune mise en garde, ni entrave ou dissuasion forte: cette liberté les conduit en fait à accomplir un acte psychologiquement assujettissant. Un acte qui les atteint dans leur dignité de femme. Elles éprouvent souvent un sentiment de profonde injustice par rapport à l’homme qui, par sa nature, ne vit pas l’IVG dans son corps et dans son esprit. On touche ici du doigt une contradiction majeure du discours sur l’égalité homme/femme dans ce domaine ». « Trop souvent l’IVG est un droit des femmes…utilisé pour les hommes ! », dénonce Marie Philippe.
Processus de culpabilisation
Culpabiliser les femmes qui choisissent d’avorter: une accusation devenue banale, dès qu’il est question de défendre la vie. C’est vrai: de nombreuses femmes culpabilisent après avoir avorté… indépendamment de leur milieu d’origine ou de leurs convictions religieuses ! « Le poids des structures sociales, religieuses ou culturelles n’explique que très partiellement le mécanisme de développement de la culpabilité ». « Des expressions comme ‘je l’ai tué’, ‘je suis une criminelle’ reviennent souvent dans les termes utilisés par les femmes. Rien ne semble pourtant prédisposer les femmes à user de cette terminologie. Les médecins ou les psychologues même les plus opposés à l’IVG, n’utilisent jamais cette terminologie péjorative ». Les femmes culpabilisent seules. Leur culpabilité ne résulte pas de leur milieu culturel, mais de la conscience profonde d’avoir transgressé une valeur, d’avoir agi à l’encontre de l’ordre naturel. Elles souffrent d’avoir tué une vie naissance. De n’avoir pas rempli leur responsabilité de mère. « On tue volontairement sa chair et son sang ‘pour ne pas faire du mal aux autres’. Mais à aucun moment, on ne pense à cet enfant qui […] doit peut-être ‘ressentir’ ce mal-être dans le ventre de sa mère où il (elle) vit ses derniers instants », témoigne Thyssen en se souvenant de l’avortement de son enfant (29 ans).
Pourtant, le moment de la culpabilisation est important, aussi douloureux soit-il : « La culpabilité peut être positive pour se reconstruire car elle n’évacue pas la responsabilité et ne fait pas de déni. Elle n’est pas fataliste car la personne, en reconnaissant sa responsabilité, ne se déprécie pas nécessairement et peut avancer dans une démarche positive pour sortir de son mal-être ». Pour Marie Philippe, l’avortement n’est d’ailleurs pas « une question de religion, mais de civilisation ».
Un choix difficile…
Les « pro- »avortement affirment que c’est à la femme de choisir si elle souhaite garder son enfant. Dans les faits, il n’est pas si facile, pour les femmes, de poser un choix. « La première cause de l’IVG est très logiquement ‘la grossesse non désirée’. Cela peut sembler évident mais dans les faits ce n’est pas aussi simple », note Marie Philippe. « Une femme peut souhaiter un enfant mais pas nécessairement la grossesse actuelle, ici et maintenant ». La question de l’avortement survient souvent dans une situation peu propice à une naissance, notamment pour des raisons matérielles et socioprofessionnelles: « Je ne voulais pas avorter mais je ne pouvais pas matériellement avoir un autre enfant », « Quand j’ai découvert que j’étais enceinte, j’étais vraiment heureuse, mais ensuite tout s’est effondré. Je n’ai pas eu le choix ». Le désir d’enfant est donc parfois ambivalent: l’angoisse et l’anxiété liées à des facteurs matériels et financiers peut transformer superficiellement le désir en non-désir. Pourtant, Marie Philippe affirme: « J’ai pu constater au cours des entretiens que j’ai eus combien ce désir est changeant au cours de la même grossesse ! ». L’auteure rappelle que des bébés « ‘bien désirés’ sont aujourd’hui délaissés ou parfois même maltraités. En revanche, innombrables sont les enfants ‘non désirés’ qui ont été acceptés puis, par la suite, vraiment aimés ! ».
Le délai de réflexion a donc toute son importance pour les femmes qui demandent l’avortement. Marie Philippe a observé, chez un certain nombre d’entre elles, un changement brusque, un effondrement directement après l’IVG. Celles-ci « venaient tout juste d’avaler la pilule abortive. Elles étaient prises d’un regret soudain et comprenaient subitement qu’un processus destructif était en route ». C’est ce qu’a vécu Nathalie (26 ans): « Perdue et dans la précipitation, je suis passée à l’acte et j’ai regretté dès le lendemain ».
Et les regrets peuvent être lourds à porter. Après un avortement, de nombreuses femmes souffrent du syndrome post-IVG. Il se traduit par différents symptômes: pleurs fréquents et non contrôlables, dépression, troubles du sommeil, comportement d’évitement par rapport, par exemple, aux jeunes enfants, à des amies enceintes, anxiété, perturbations des relations humaines…
Le risque de suicide est par ailleurs accru chez les femmes qui ont subi un avortement. Marie Philippe rapporte ainsi qu’ « une étude assez récente du Scandinavian Journal Public Health a montré que, malgré la prévention mise en place dans les centres d’IVG en Scandinavie, les femmes ayant eu recours à un avortement provoqué ont un risque deux ou trois fois supérieur de faire un suicide suivi d’effet (ayant entraîné la mort) par rapport aux autres femmes »[1].
Le rôle de la législation et du corps médical
« Jamais à l’hôpital on ne m’a proposé une alternative à l’IVG, telle que m’aider à trouver des solutions pour garder mon bébé ou simplement des motivations », rapporte Nathalie (26 ans). Pire, plusieurs femmes témoignent que des médecins ou des membres du planning familial les ont clairement encouragées à avorter:
« J’ai été reçue [au planning familial] par une femme qui a bien voulu écouter mon histoire. A la fin, elle m’a dit: « Concrètement, si vous êtes là, c’est que vous savez ce que vous voulez ! C’est juste que vous avez du mal à l’accepter ». Je lui ai dit : « Non, je suis venue pour avoir un avis, de l’aide un soutien ». Elle m’a dit : « Vous savez très bien ce qu’il y a de mieux à faire. Vous avez juste du mal à le formuler. Mais ce que vous voulez, en fait, c’est avorter ! ». J’ai dit : « Non, ce n’est pas si simple, je suis venue pour avoir des réponses, pour que vous m’aidiez ! » Elle m’a expliqué comment se passait l’avortement […] Elle m’a dit: « Il faut que vous vous dépêchiez, il ne vous reste plus beaucoup de temps pour avorter ». J’étais complètement choquée. Je ne suis jamais retournée la voir. Elle m’a téléphoné pendant les trois jours qui ont suivi mais je ne répondais pas… J’ai finalement eu de l’aide ailleurs et j’ai gardé le bébé. Et je ne le regrette pas ! Alors non, ne me dites pas que le planning est neutre ! ».Miriam (35 ans) relate quant à elle les obstacles face auxquels elle a dû se positionner pour garder son enfant alors qu’elle était encore adolescente:
« J’ai échappé à l’avortement, par pur miracle. Je me souviens de mes amies qui me disaient : ‘Rien que pour ne pas avoir à dire à mes parents que je suis enceinte, à ta place j’avorterais’. Et aussi celles un peu plus âgées auprès desquelles je pensais trouver un réconfort et une aide pour me défendre, qui au lieu de m’entendre, me disaient : ‘Tu le gardes ? Mais tu es folle !’. Et ce médecin, que je consultais pour le suivi de ma maternité et qui a refusé en me disant : ‘Mademoiselle, vous êtes jeune, vous vous gâchez la vie, dépêchez-vous de vous faire avorter avant que ce ne soit trop tard…’ Il est très long ce chemin avant de trouver des gens qui vous acceptent, célibataire et enceinte. J’ai été traitée d’idiote, de moins que rien, j’ai entendu quelqu’un me dire : ‘Mais tu sais que l’avortement ça existe, et c’est pour les imbéciles comme toi qui se sont fait avoir !’ »Autrefois, sous la loi Veil de 1975, en France, il était interdit d’encourager une femme à avorter. En 2001, la loi Aubry change profondément l’esprit de la loi Veil, sur ce point notamment. « La loi Aubry, au supprimant le délit de provocation à l’avortement, supprime aussi le délit de propagande ou de publicité en faveur des établissements d’avortement et des moyens d’avorter. Inversement, elle généralise le délit d’entrave à l’avortement aux ‘pressions morales et psychologiques, menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les centres d’avortement et des femmes venues y subir une IVG ou de l’entourage de ces dernières’. La frêle barrière du délit de provocation qui protégeait la femme des pressions de son entourage (conjoint, parents, amis, services sociaux, etc.) a disparu ».
Concrètement, en France, il est donc permis d’encourager une femme à avorter, mais pas de l’en dissuader, et rien ne protège la femme en cas de pression dans le but de la pousser à l’IVG. Quant au harcèlement et aux menaces, il est difficile d’en donner la preuve. Des femmes telles que Vanessa, évoquée plus haut, se retrouvent donc complètement démunies et en viennent à avorter sous la pression ou sous l’effet de menaces. Au niveau des médecins, un autre problème se pose, directement lié à la loi Aubry. Pour Marie Philippe, c’est la « loi du silence », un silence « qui devient assourdissant ». Par peur de déroger à la loi, de nombreux médecins préfèrent se taire quant aux risques que représente un avortement. La souffrance psychologique est complètement niée. « Il y a comme une autocensure permanente sur ce sujet alors qu’il est du devoir du médecin d’informer le patient de tous les risques que peut avoir un traitement médical ou une opération ».
Mais les médecins sont de plus en plus nombreux à refuser de pratiquer un avortement chirurgical. « Les indices se multiplient quant au fait que de moins en moins de médecins et d’infirmières souhaitent pratiquer des avortements chirurgicaux. En Italie, on parle de 70% des médecins qui refuseraient de les pratiquer ». Il est difficile pour les médecins de se faire les froids exécutants d’une loi, quand cette loi contredit leur conscience.
Des jeunes filles et des femmes vulnérables
Parmi les femmes particulièrement vulnérables face à l’avortement, Marie Philippe évoque en premier lieu les adolescentes, « car le monde d’une adolescente ne leur permet pas d’explorer en profondeur la signification de l’avortement, et l’impact que et événement aura sur sa vie future ». Le fait de n’être pas encore autonome financièrement les rend d’autant plus fragiles par rapport à leur famille, qui les contraint parfois à avorter. Elodie (17 ans) témoigne en ce sens: « Le 19 septembre 2015 (date qui restera à jamais gravée), j’ai dû me faire avorter par l’obligation de mes parents. […] J’aimais cet enfant que je portais dans l’attente d’une place à lui donner […]. A 7 heures 30, direction le bloc opératoire, j’ai pleuré, hurlé aux médecins de me laisser, je ne voulais pas ! Mais malgré ça, ils m’ont injecté de la morphine puis trou noir: je me réveille, j’étais vide, mon âme était vide ».
Le 17 octobre 2000 à l’Assemblée nationale, le professeur Jacques Milliez déclarait à propos des adolescentes de seize ans : « Il est impensable à cet âge de maintenir une grossesse non désirée et impossible ». « ‘Impensable’, ‘impossible’… Les termes ne sont pas anodins et ont une signification très grave », remarque Marie Philippe. « Cela revient-il à dire, en d’autres termes, qu’il ne faudrait pas tolérer que ces jeunes filles ‘gardent leur bébé’ ? Si la grossesse est ‘impossible’, l’IVG serait-elle donc pratiquement ‘obligatoire’ ? Faudrait-il les avorter sous contrainte ? ».
La liberté des femmes ne serait-elle qu’un prétexte ? Où s’arrêtera la politique pro-avortement en France? L’avortement y sera-t-il un jour « obligatoire » dans certains cas, comme le suggère le professeur Jacques Milliez ? Pour l’instant, il s’agit d’un scénario-catastrophe. Mais le calvaire enduré, en France, par de trop nombreuses femmes contraintes, harcelées et forcées d’avorter doit nous servir de repoussoir et nous mettre en alerte, ici en Belgique, sur les risques inhérents à toute politique qui, au nom du droit et de la liberté des femmes, facilitent toujours davantage la possibilité d’avoir recours à l’IVG.
Il est important que les femmes qui se posent la question de l’avortement puissent être écoutées. Un soutien matériel peut également s’avérer nécessaire dans certains cas de détresse. Mais qu’est-ce qui va garantir aux femmes l’écoute et le soutien dont elles ont besoin ? La loi joue ici un rôle important. Une loi qui ne protège plus les femmes des pressions de l’entourage, ou qui encourage délibérément les femmes à l’IVG, se fait complice de leur malheur. L’avortement blesse profondément la femme dans sa dignité de mère. Ce drame ne peut être banalisé. Les symptômes post-IVG ne sauraient être niés. Il en va de notre responsabilité à tous et cette responsabilité passe par l’aspect législatif. Pourtant, c’est tout le contraire qui se passe en France. La Belgique va-t-elle se laisser entraîner dans la même voie ?
En attendant, Marie Philippe nous offre un éclairage bouleversant sur la réalité de l’avortement. Il lève le tabou sur la souffrance des femmes, sur les causes et sur les conséquences de l’IVG. Il rappelle aussi que l’avortement n’est pas une fatalité, même dans les cas qui semblent désespérés. Enfin, il souligne combien le déni n’est pas une solution, et que sans se morfondre dans la culpabilisation, il est important de mesurer la gravité d’un acte posé, pour pouvoir ensuite se reconstruire, avancer et, un jour, retrouver sa dignité de mère.
Marie Philippe. « Après l’IVG. Des femmes témoignent », Paris-Perpignan, Artège, 2018
MMH [Madeleine-Marie Humpers]
[1] Gissler M., Karalis E., Ulander V.-M., « Decreased suicide rate after induced abortion, after the Current Care Guidelines in Findland 1987-2012 », publié pour la première fois le 24 novembre 2014
Article publié le 31 mai 2018 sur CathoBel:https://www.cathobel.be/2018/05/31/quand-lavortement-blesse-les-femmes/
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