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mardi 12 mars 2019

La pudeur au service de la liberté

La pudeur ? N’est-ce donc pas une valeur passée de mode, tombée en désuétude ? Là où la mini-jupe est parfois arborée comme un symbole de liberté, la pudeur semble avoir vieilli. Et si la pudeur n’avait pas dit son dernier mot ?
 
Par son étymologie, la pudeur a trait à la « répulsion » Ce n’est que dans un second temps que le terme évolue pour connoter le sentiment de honte. « Toutes les références lexicales, écrit la psychanalyste française Monique Selz, font provenir le mot ‘pudeur’ du latin pudor, dérivé du verbe pudere, dont le sens premier serait ‘éprouver ou inspirer un mouvement de répulsion’, et qui aurait ensuite pris le sens de ’causer de la honte’ ».
Pour Monique Selz, il est important de distinguer honte et pudeur: la pudeur permet d’exister en tant qu’être singulier et offre un espace privé à l’abri du regard d’autrui. La honte survient plutôt quand il se produit une intrusion dans cet espace.
Inès Pélissié du Rausas est docteur en philosophie à l’Université de La Sorbonne et auteur de nombreux ouvrages parus dans la collection « S’il te plaît, parle-moi de l’amour » aux Éditions Saint-Paul,  destinée aux parents pour leurs enfants jeunes et préadolescents. Elle soutient quant à elle que la honte, lorsqu’elle devient un levier pour la pudeur, peut avoir une « valeur positive »: la pudeur renverrait moins à la honte de soi qu’au désir d’être respecté pour l’ensemble du tout que le sujet constitue. La honte naît alors du risque que représente le désir sexuel, désir que le sujet peut susciter, risque d’être réduit à ce désir. « La honte apparaît comme le signe d’un respect de soi à travers le respect manifesté au corps dans l’acte même par lequel on le couvre ».
Inès Pélissié du Rausas écrit encore: « La pudeur, comme désir de ‘protection du moi’ renvoie à la conscience que celui qui l’éprouve a de sa propre valeur. […] n’est-ce pas parce qu’il éprouve […] ce respect de lui-même, que l’homme a honte de ce qu’il perçoit comme pouvant, d’une manière ou d’une autre, le dégrader ? […] Percevoir un danger, n’est-ce pas une condition nécessaire pour s’en préserver ? Or la pudeur est bien perception d’une sorte de ‘danger’ qui menace l’être : la manifestation d’un désir – de soi ou d’autrui – qui ne s’intègre plus dans le tout de la personne, mais qui tend à l’autonomie, qui ne s’intéresse qu’au corps ».
Dans le même esprit, selon Catéchisme de l’Eglise catholique, la pudeur signifie, chez la personne, la conscience de sa dignité: « Les formes revêtues par la pudeur varient d’une culture à l’autre. Partout, cependant, elle reste le pressentiment d’une dignité spirituelle propre à l’homme. Elle naît par l’éveil de la conscience du sujet » (CEC 2524).

Pudeur de l’âme

Or pour Inès Pélissié du Rausas, la pudeur n’est pas seulement celle du corps. Reprenant la formule de saint Augustin, elle évoque ainsi la « pudeur de l’âme » qui renvoie à la « crainte de l’extériorisation de l’intime »: il s’agit d’« une crainte qui appelle le respect pour le moi, puisqu’elle refuse que soit exposé, galvaudé et peut-être incompris ce qui appartient à l’intimité de la personne […]. Elle indique que cette intimité existe, et renvoie à la profondeur de la personne ». L’intimité ne se révèle que dans un climat de confiance et le voile de la « pudeur de l’âme » ne peut tomber que lorsque les personnes sont liées par un profond respect.
Mais qu’est-ce que l’intimité? L’intime est d’abord ce qui n’appartient qu’à moi; ensuite, l’intime est ce qui n’appartient qu’à nous. Pascal Janne (Professeur extraordinaire à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UCL), le prof. Christine Reynaert (UCL) et l’écrivaine Catherine Lamy-Bergot distinguent l’intimité intellectuelle, l’intimité émotionnelle, l’intimité conjugo-familiale ou encore l’intimité financière pour n’en citer que quelques unes. Notons que pour ces auteurs, l’intimité sexuelle n’est qu’une catégorie sein de toutes celles qui constituent l’intimité pleine et entière. Certaines formes d’intimité sont réservées à la vie conjugale, d’autres au contraire caractérisent l’amitié ou encore lien filial ou fraternel.

Pudeur et chasteté

Par ailleurs, le théologien dominicain Raphaël Sineux rattache la pudeur à la chasteté, cette vertu qui rend possible « l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel » (CEC 2337). Cette unité intérieure suppose d’envisager le corps dans sa vocation à être sanctifié, et non dans un esprit de convoitise et de concupiscence. La pudeur « invite à surveiller les sens, et à leur interdire tout mouvement que ne justifierait pas l’expression d’une affection légitime », écrit le père Sineux. La pudeur est une sorte de répulsion « que l’âme éprouve en face de tout ce qui offenserait la chasteté ». La pudeur est ainsi d’une grande aide lorsqu’il s’agit de rétablir l’être humain dans son intégrité première, dans l’unité harmonieuse vers laquelle il est appelé.
Ces différents regards éclairent la pudeur sous plusieurs angles, permettant d’en faire ressortir au moins trois raisons d’être sous-jacentes : désir de respect, désir d’intimité et d’autonomie, et désir de sanctification. La pudeur n’a donc rien d’archaïque. Au contraire, elle apparaît même de nature à fonctionner comme un levier de l’affirmation de l’individu. L’affirmation de soi passe par la capacité à reconnaître combien le corps ne saurait être réduit à sa matérialité. Il mérite donc un respect tout particulier. Dans le même temps, la pudeur peut matérialiser, sur le plan des comportements et attitudes notamment vestimentaires, le statut de l’individu comme sujet singulier, incluant une dimension d’intimité. Enfin, cette intimité est le seuil à partir duquel la vie spirituelle est possible. L’intimité est alors un espace disponible pour Dieu, l’ouverture à une liberté qui a Dieu pour principe. Pourquoi la pudeur apparaîtrait-elle donc désuète ?

MMH [Madeleine-Marie Humpers]

Image: Domaine public

Sources:
Monique Selz. « La Pudeur, un lieu de liberté », Paris, Buchet Chastel, coll. « Au fait », 2003
Inès Pélissié du Rausas. « La pudeur, le désir et l’amour », Nouan-le-Fuzelier, Editions des Béatitudes, 1997
Pascal Janne, Christine Reynaert et Cartherine Lamy-Bergot. « Les strates de l’intime conjugal. Essai de formalisation technique de l’étude de l’intimité dans les couples au moyen de l’inventaire systémique des strates de l’intimité conjugale (ISSIC) », dans « Thérapie Familiale », 2009, n°4, vol. 30
Frère Raphaël Sineux op. « Initiation à la théologie de Saint Thomas d’Aquin », Desclée &Cie, Paris – Tournai – Rome – New York, 1953

Article paru sur CathoBel le 14 juin 2018: https://www.cathobel.be/2018/06/14/la-pudeur-au-service-de-la-liberte-2/

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