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vendredi 15 mars 2019

Des saints et des oiseaux: vérités, miracles et symboles

Dans l’hagiographie catholique, les oiseaux suscitent chez les saints la charité et la compassion. Par leurs chants, ils rendent louange à Dieu. Mais l’oiseau blessé peut aussi représenter le Christ lui-même…

L’oiseau, une créature de Dieu, un symbole universel qui évoque depuis toujours la soif de liberté. De nombreux saints catholiques, dans leur amour du Créateur, ont fait preuve d’une profonde miséricorde envers ces petits êtres ailés. La poésie persane recèle quant à elle un important de recueil de poèmes intitulé La conférence des oiseaux. Rédigé au XIIe siècle par le soufi Farid Al-Din Attar, ce récit allégorique est consacré à la recherche de la vérité en Dieu. Que faut-il à la relation entre l’homme et l’oiseau pour que Dieu y trouve sa place?

Saint Isidore le Laboureur: charité et compassion

Saint Isidore, dit « le Laboureur », est né près de Madrid, à la fin du XIe siècle. « Sa charité envers les pauvres était extrême, et l’on a regardé comme un miracle les aumônes qu’il faisait », racontera le Père Jean Croiset. Mais « ce n’était pas seulement en faveur des pauvres que Dieu autorisait la charité; la compassion même pour les animaux a été souvent accompagnées de miracles ». Avec saint Isidore le Laboureur, la charité et la compassion s’appliquent donc aussi aux oiseaux. Et Dieu le cautionne par un miracle:
« Allant un jour pour faire moudre du blé, toute la campagne étant couverte de neige, il aperçut sur un arbre un grand nombre d’oiseaux prêts à mourir de faim; il en fut touché, et ayant découvert un assez grand espace de terre, il y répandit une grande partie de son blé, en disant à simplicité, et sa douceur ordinaire: Mangez, petits oiseaux, Dieu en donne abondamment pour tous. Un de ses amis l’accompagnait, se moqua de sa simplicité, et la prit pour [une] bêtise; mais il revint bientôt de son erreur, lorsqu’étant arrivé au moulin, les sacs de saint Isidore se trouvèrent plus pleins qu’ils n’étaient avant qu’il les eût répandus, et le malin censeur devint lui-même le prôneur de cette merveille » (Père Jean Croiset, La Vie des Saints pour tous les jours de l’année, t. I, Lyon, 1723)
Mais il arrive que la compassion, plus que de protéger la vie, en devienne la source. Ainsi en est-il avec saint André de Ségni…

Saint André de Ségni: compassion, source de vie

L’exemple d’André de Ségni, moine franciscain du XIIIe siècle, est similaire: ici encore, le miracle signale combien la compassion plaît à Dieu. Il montre que la vie a besoin de compassion pour s’épanouir:
« Il avait une âme très-compatissante, et sa sensibilité universelle s’étendait jusqu’aux animaux. Un jour qu’il était malade, on lui apporta, pour réveiller son estomac affadi, quelques petits oiseaux tués à la chasse. Il eut pitié de ces pauvres animaux étendus sans vie et tout sanglants devant ses yeux. Il fit sur eux le signe de la croix, en priant Dieu de les ressusciter. Dès qu’il eût finit son oraison, les oiseaux commencèrent à s’agiter, battirent des ailes et s’envolèrent. » (Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, Paris, 1865).
C’est une véritable résurrection qui s’accomplit avec saint André de Ségni: par la grâce de Dieu, la compassion rend la vie là où elle avait disparu.

Saint François d’Assise: l’invitation à la louange

Avec saint François d’Assise, la charité et la compassion à l’égard des animaux sont en relation avec la louange à Dieu. Saint François rend louange au Créateur à travers ses créatures autant qu’il invite ces créatures à Le louer à leur tour. « En eux il louait le Créateur admirable, et doucement il les invitait à louer le Créateur », rapportent les Les Actes du bienheureux François et de ses compagnons (Actus Beati Francisci et sociorum ejus), la matrice latine des Fioretti, datés du XIVe siècle.
Le saint se fait alors l’intermédiaire entre l’ensemble de la Création et Dieu, qui a tout créé. Et il élève les oiseaux à la prière, à la louange. Ainsi saint François prêchait aux oiseaux, qui l’écoutaient attentivement:
« Mes frères les oiseaux, vous êtes tenus d’une grande reconnaissance envers Dieu, et toujours et par tout vous avez le devoir de le louer : car il vous a donné la liberté de voler en tous lieux, et un double et triple vêtement, et un plumage aux couleurs délicates, et une nourriture que vous n’avez pas à gagner par votre travail ; le Créateur vous a appris à chanter; la bénédiction divine vous a multipliés; Dieu a, dans l’arche, conservé votre race, et c’est à vous qu’il a livré l’élément de l’air. Vous ne semez, ni ne moissonnez, et Dieu vous nourrit; il vous a donné les fleuves et les sources pour vous désaltérer, les montagnes et les collines, les rochers pour vous réfugier, les arbres élevés pour faire votre nid. Et, bien que vous ne sachiez ni filer ni tisser, il vous fournit à vous et à vos petits le vêtement nécessaire. Il vous aime donc bien, le Créateur, puisqu’il vous a accordé tant de bienfaits. Aussi prenez garde, mes frères les oiseaux, de ne point vous montrer ingrats, mais appliquez-vous à toujours louer Dieu ». (Actus Beati Francisci et sociorum ejus, 16. – Cf. Fioretti, 16)
Les Actes du Bienheureux François poursuivent avec la réaction des oiseaux:
« Après leur avoir prêché et les avoir exhortés à louer Dieu, il [saint François] traça sur tous ces oiseaux le signe de la croix et de nouveau il les conjura instamment de louer Dieu. Alors tous ces oiseaux s’élevèrent ensemble dans les airs et y firent entendre un grand et merveilleux concert ».
Alexandre Masseron fait remarquer que saint François ne se limite pas à considérer chaque créature comme un symbole renvoyant à Dieu, ce qui était courant au Moyen-âge. Sans s’opposer à cette pratique, il y ajoutait un « sentiment nouveau », mêlant reconnaissance, allégresse et amour. Il encourage en effet les oiseaux, et toutes les créatures, à reconnaître la bonté divine à travers chaque bienfait, chaque spécificité, chaque créature. Il incite les oiseaux à la louange, comme il fait également pour les hommes, notamment à travers des compositions comme Laudato Si’ [1]. Il éprouve et communique un sentiment d’ « allégresse devant la beauté du monde ». Et tout cela est couronné par l’amour qui l’anime « envers tous les êtres, animés et inanimés, que le Créateur a mis au service des hommes »[2] (Alexandre Masseron, « Mes frères les oiseaux »).
Saint François aime la Création d’un amour vraiment spirituel, inspiré par l’Esprit Saint. C’est ainsi que dans son amour il sanctifie toutes les créatures. Or l’amour est relation, et avec saint Gérard de Magella, c’est la relation qui est élevée et sanctifiée de manière plus évidente: en ouvrant la cage d’un oiseau, le saint lui donne d’être libre, et de consacrer sa liberté à une véritable amitié. Le lien d’oppression, alors, n’existe plus…

Saint Gérard de Magella: sanctifier la relation

Au XVIIIe siècle, dans le sud de l’Italie, Saint Gérard de Magella, rédemptoriste, était animé par un grand désir de la sainteté, pour lui-même comme pour autrui[3]. Dans son élan de sainteté, il trouve le moyen de réparer le lien abîmé entre un enfant et un oiseau, que le petit tenait en cage: à partir d’un lien d’oppression, il permet à l’enfant et à l’oiseau, avec la grâce de Dieu, de connaître une amitié vraie, un lien libre et consenti:
« Il suffisait à Gérard d’appeler les petits oiseaux, pour qu’ils vinssent se percher sur sa main. Un neveu de l’archiprêtre don Salvadore d’Olivéto tenait un petit oiseau en cage. Gérard, après l’avoir caressé, lui rendit la liberté. A la vue de l’oiseau qui s’envolait, l’enfant se mit à pousser des cris déchirants. Pour l’apaiser le bon frère se rendit à la fenêtre: ‘Reviens, dit-il. Reviens, petit oiseau, car l’enfant pleure’. Aussitôt l’oiseau vint se poser sur la main du serviteur de Dieu, qui le rendit à l’enfant ». (Père Saint-Omer, Le thaumaturge du XVIIIe siècle ou La vie, les vertus et les miracles de saint Gerard Majella, 1911)
Après avoir rendu sa liberté à l’oiseau, celui-ci peut revenir librement auprès de l’enfant. Comme touché de compassion pour les pleurs de l’enfant, l’oiseau vient le consoler par sa présence. C’est la relation qui est sanctifiée avec l’aide du saint.
Ces quelques exemples illustrent la présence des oiseaux dans l’hagiographie catholique. Mais les oiseaux interviennent également dans d’autres traditions, notamment chez les soufis…

La Conférence des Oiseaux

L’auteur de La Conférence des Oiseaux imagine un cadre allégorique pour son récit: là, sept vallées représentent chacune une étape de la vie spirituelle soufie[4]. Et chaque oiseau illustre un comportement, un état intérieur, un obstacle à l’union divine. Un à un, les oiseaux abandonnent le voyage:
« Nécessairement le chemin spirituel ne se manifeste que dans les limites des forces respectives de chacun. Comment, en effet, dans ce chemin que parcourut Abraham, l’ami de Dieu, la faible araignée pourrait-elle suivre le pas de l’éléphant ? La marche de chaque individu sera relative à l’excellence qu’il aura pu acquérir et chacun ne s’approchera du but qu’en raison de sa disposition« .
Dans La Conférence des Oiseaux, le monde est comparé à un chaudron duquel les hommes seraient prisonniers de leurs travers. Ceux-ci sont symbolisés par le caractère attribué à chaque oiseau. Sous le couvercle fermé, ils sont voués à la mort: seul le désir d’espace infini et la soif de miracle peut les sauver, et leur permettre de s’envoler. Il s’agit de devenir « pèlerin du ciel »:
« Le monde est un chaudron. Son couvercle est fermé, et nous bouillons dedans, empêtrés de passions et d’ignorance crasse. La Mort vient touiller le ragoût. Alors certains déploient leurs ailes, ils s’efforcent, prennent leur vol, s’élancent vers l’éternité. Ceux qui ne peuvent s’envoler restent là, rechignés, rogneux, au fond de la noire marmite, à macérer dans leurs malheurs.
Donne à l’oiseau secret qui niche dans ton corps un désir d’espace infini, donne du cœur à la raison, à l’âme une soif de miracle. Deviens le pèlerin du ciel avant que l’ange de la Mort vienne soulever le couvercle ».
En effet nous n’avons que cette vie pour décider d’aimer Dieu et de Le rejoindre. C’est ainsi, pour Farid Al-Din, que l’homme se réalise et devient pleinement lui-même:
 » Il faut explorer le mystère, trouver le secret de la vie avant que le cœur ne s’éteigne. Si tu ne le déniches pas ici même, dans ce bas monde, ce n’est pas au fond du tombeau que tes pauvres yeux s’ouvriront. Seul un vivant peut découvrir ce que signifie le mot vivre. Les morts n’en peuvent rien savoir. Tu n’es pas ici-bas pour rien. Deviens enfin un homme, un vrai. Mais tant de voiles te recouvrent ! Comment pourrais-tu te trouver ? ».
Et pour y parvenir, l’auteur de La Conférence des Oiseaux encourage le lecteur à veiller sans cesse, à « veilleur sur la cité du cœur », dans la fidélité à Dieu et à soi-même:
« Si tu cherches la vérité, tu n’as pas le droit de dormir. Veille jalousement sur la cité du cœur, écrit-il, car de fieffés voleurs convoitent le diamant qui gît dans sa chambre profonde. Prends garde, ils sont nombreux, ils connaissent la route. Il te faut ardemment tenir les yeux ouverts. Quand tu auras appris à veiller jour et nuit sur ton trésor intime, alors tu parviendras au secret de l’amour. Dans l’océan de sang où nous barbotons tous, la connaissance vient aux veilleurs indomptables. Celui qui bravement endure l’insomnie, en Sa présence un jour s’éveillera vraiment. Sois fidèle à ton cœur ».
Dans le récit de Farid Al-Din Attar, les oiseaux sont donc amenés à quitter le chaudron où la mort œuvre à son aise, à s’envoler loin du monde des travers et des obstacles à l’amour divin. Et pour cela, ils n’ont que le temps de leur vie.
Parfois – non plus alors dans le soufisme mais dans le catholicisme –, c’est Jésus qui est comparé à un oiseau qui s’échappe, non d’un chaudron, mais d’un filet qu’il déchire pour ouvrir le passage à tous les autres…

L’oiseau blessé au filet

S’il est habituel de représenter l’Esprit Saint par une colombe, Jésus est donc quelquefois désigné comme l’oiseau blessé au filet. Car Jésus est mort par miséricorde, il est mort pour avoir ouvert la voie de l’amour aux hommes, il est « comme cet oiseau qui, en se blessant au filet dans lequel tous sont emprisonnés, ouvre une brèche par laquelle passer »[5]:
« Des myriades d’oiseaux volaient sous un filet tendu au-dessus du sol. Sans cesse ils s’envolaient, heurtaient le filet et retombaient à terre. Le spectacle était accablant. Mais voici qu’un oiseau s’élança à son tour: il s’obstina à lutter contre le filet et, soudain, blessé, couvert de sang, il le rompit et s’élança vers l’azur. Ce fut un cri strident parmi tout le peuple des oiseaux, et dans un bruissement d’ailes innombrables, ils se précipitèrent vers la brèche, vers l’espace sans limites » (cité par Jean Corbineau, Paroles de Dieu, paroles de fêtes, Karthala).

Des symboles et des miracles

Les oiseaux sont bien présents dans l’hagiographie catholique. Ils suscitent la compassion, ils reviennent à la vie grâce aux prières de André de Ségni, il arrive aussi qu’un oiseau et un enfant découvrent l’amitié sous l’impulsion d’un saint comme Gérard de Magella… Les oiseaux interviennent également en tant que symboles chez les soufis. Ils ont à quitter le chaudron pour s’élancer vers la vie. « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle… », écrivait Baudelaire. Le poème n’évoque pas le Christ, et pourtant, n’est-ce pas lui qui renverse le couvercle et permet le véritable envol? Partout, les oiseaux évoquent la liberté et l’élévation: en cela, ils réactivent sans cesse l’aspiration à chercher et à trouver Dieu. C’est ainsi que l’image de l’oiseau, blessé au filet comme Jésus sur la Croix, en vient justement à désigner le Christ.

MMH [Madeleine-Marie Humpers]

[1] Et pour les nombreuses consolations qu’il avait reçues et qu’il recevait des créatures, il composa, peu de temps avant sa mort, certaines Louanges du Seigneur pour ses créatures, afin d’inciter les cœurs de ceux qui les entendraient à louer Dieu et afin que le Seigneur lui-même fût loué par les hommes dans ses créatures (Speculum perfectionis [Miroir des perfections ou Mémoires de frère Léon sur la seconde partie de la vie de saint François d’Assise], 118)
[2] À propos des êtres inanimés: « De même encore il disait au frère qui s’occupait du jardin de ne pas cultiver l’espace tout entier pour les plantes comestibles, mais de réserver une partie de la terre pour les plantes verdoyantes qui produiraient en leur temps nos sœurs les fleurs par amour pour celui qui est appelé flos campi et lilium convallium. Bien plus, il disait que le frère jardinier devait toujours faire de quelque partie du jardin un joli jardinet, où il planterait toutes les plantes odoriférantes et toutes celles qui produisent de belles fleurs, pour qu’en leur temps elles invitent à la louange les hommes qui verraient ces plantes et ces fleurs. Car toute créature dit et proclame : ‘Homme, c’est pour toi que Dieu m’a faite' » (Speculum perfectionis, 118)
[3] À une religieuse Saint Gérard écrit ainsi: « Vous savez ce que le mot foi implique. Prenez courage! Aillez un grand cœur dans l’amour de Dieu. Devenez une grande sainte ». Il appelait chacun à la sainteté.
[4] « La première vallée qui se présente est celle de la recherche (talab) ; celle qui vient ensuite est celle de l’amour (‘ishq), laquelle est sans limite ; la troisième est celle de la connaissance (ma’rifat) ; la quatrième celle de l’indépendance (istighnâ’) ; la cinquième celle de la pure unicité (tawhid) ; la sixième celle de la terrible stupéfaction (hayrat) ; la septième enfin celle de la pauvreté (faqr) et de l’anéantissement (fanâ’), vallée au-delà de laquelle on ne peut avancer. » (Farîd-ud-Dîn ‘Attar, Le langage des oiseaux, traduit du persan par Garcin de Tassy, Paris, Editions Albin Michel, 1996)
[5] Charles Delhez, Nouvelles questions sur la foi, éd. Cerf / Fidélité /racine, 2001, n° 335

Publié sur CathoBel le 18 avril 2018: https://www.cathobel.be/2018/04/18/des-saints-et-des-oiseaux-verites-miracles-et-symboles/

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