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mardi 12 mars 2019

Découvrez l'Ave Maria en Wallon

Il fut un temps où le wallon n’avait pas bonne presse. Mais aujourd’hui, les temps ont changé. Une dame âgée, originaire de la région de Wavre, nous a proposé une traduction de l’Ave Maria en wallon. L’occasion de redécouvrir un dialecte plein de charme, celui de nos aïeux…

A Wavre, cette dame, qui a souhaité rester anonyme, nous explique qu’au début du siècle dernier, les enfants qui étaient surpris à parler wallon dans la cour de récréation pouvaient recevoir des sanctions. C’est son père qui lui racontait cela en évoquant ses souvenirs d’enfance: « Mon père était parfois puni car entre lui et ses copains de classe, ils parlaient volontiers le wallon. Il disait qu’en sortant de l’école, donc de sixième primaire, il fallait parler le français et l’écrire sans faute. »
Et les « belgicismes » n’étaient pas mieux lotis: au XIXe siècle déjà, un certain Joseph Benoît n’hésitait pas à les ranger sous la catégorie des « vices de langue » en évoquant « ces barbarismes, ces mots détournés de leur véritable acception, ces tours de phrases incorrects, ces accords vicieux des temps et des modes qui, en Belgique, se sont introduits dans la langue française et s’y sont, pour ainsi dire, installés et naturalisés » [1].  Sévèrement pourchassés, les belgicismes ont fait l’objet, au début des années 70′, d’un ouvrage dont le titre était symptomatique d’une attitude profondément hostile à nos spécificités linguistiques: il s’intitulait Chasse aux belgicismes [2]. Tout un programme!
Depuis, les mentalités ont changé. Aujourd’hui, il n’est plus question de « chasser » les belgicismes, mais de les réunir au sein de dictionnaires, comme en témoigne le Dictionnaire des belgicismes, réalisé sous la direction du professeur Michel Francard de l’Université catholique de Louvain [3]. A Namur, la bonne volonté de bénévoles a par ailleurs permis la mise en place d’une école de wallon, et des initiatives similaires existent aussi dans d’autres villes de Belgique.
Cependant, les années ont passé et le travail de sape a fait son œuvre: rares sont les jeunes qui, aujourd’hui, comprennent encore le wallon, à défaut de le parler!

Prier en wallon

Cela fait bien longtemps que l’on ne prie plus en wallon. En parlant de sa jeunesse, la dame âgée que nous avons rencontrée à Wavre en témoigne: « Prier c’était toujours en français car on ne s’adressait pas volontiers à Dieu ou à la Vierge en wallon, peut-être bien que les générations précédant mon père le faisaient… »
Ces générations qui nous ont précédé, comment priaient-elles? A quoi ressemblait, par exemple, leur Ave Maria? Difficile à dire car le wallon, comme le français, a son histoire et que le wallon tel qu’il était parlé il y a cinq ou six siècles n’est pas le wallon de nos grands-parents. Néanmoins, nous avons demandé à la vieille dame ce que donnerait l’Ave Maria dans le wallon de la région de Wavre et, plus précisément, de Limal, le village où elle a grandi, au lieu-dit de Grandsart [4]:
« Dje Vos Salue Marie,
Vos que l’ Bon Diè wè se volti
El Seigneur es’t avou Vos
Vos estos bénie intre toutes les fèmes
Eyès Jésus que Vos avos mette au monde est béni

Sainte Marie, mère de Dieu
Priis por nos qu’avons tant péché
A ct’heure et au momint de nos ed naller po des bon.
Amen. »
Néanmoins, la vieille dame nous met en garde: « Je ne sais pas comment on écrit le wallon, je l’écris comme je l’entends! » Ecrire en wallon, qu’est-ce à dire? Existe-t-il une orthographe pour le wallon? Eh bien oui! Il s’agit de l’orthographe mise au point par le philologue Jules Feller, au début du XXe siècle, comme l’explique Xavier Bernier dans son mémoire consacré à la chanson wallonne: « Au début du XXe, le philologue Jules Feller a mis au point un système de notation courante qui a été adopté par la Société Liégeoise de Littérature wallonne et qui s’est rapidement généralisé, aussi bien dans les travaux des philologues que dans les productions des écrivains. Elle s’est imposée d’autant plus facilement que, s’inspirant de l’orthographe française, elle ne heurte pas les habitudes des usagers. Elle permet aux lecteurs non familiarisés avec la langue notée d’avoir une idée assez exacte de la prononciation » [5]. Hélas, tous les locuteurs wallons n’ont pas connaissance de ce système graphique, aussi pour pallier aux éventuelles imprécisions dans la retranscription de l’Ave Maria que la vieille dame de Wavre nous a partagé, en voici une version audio:



 Par ailleurs, la vieille dame nous rappelle que chaque ville, et même chaque village, avait « son » wallon, ce qui donne une idée de la richesse et de la variété linguistiques qui prévalait sans doute avant que la politique d’uniformisation ne se mette en place dans nos pays, de manière très progressive à partir de François Ier (XVIe siècle), puis de plus en plus rapidement avec le développement du système scolaire: « A sa façon de parler le wallon, on savait directement si la personne venait de Wavre, de Limal ou de Namur ou de Charleroi… et on ne comprenait pas le wallon de Liège ni celui de Mons! »
Dans la région de Charleroi, l’Ave Maria pourrait être traduit comme suit, selon l’UCW:

Dji vos salûwe, Mârîye,
Vos qu’el Bon Djeu wèt si voltî.
El Sègneûr è-st-avè vous.
C’est vous qu’est bènie intrè toutes les feumes,
èt Jésus, qui vos avèz mîs au monde, est bèni.
Ô Sinte Mârie, mame du Bon Djeu,
Prièz pour nous qu’a fét tant d’pèchés,
Asteûr èt au momint d’èdaler pou d’bon.
Amen.

Et dans sa version wallo-picarde, toujours selon l’UCW:

De vos salue, Marie,
Vous que l’Bon Dieu voit si voltîer,
El Seigneur est-s’t’avez vous.
C’ est vous qu’ èst bénie intre toutes les fèmes,
Eyè Jésus, qu’ vos avz mis au monde, est béni.
O Sainte Marie, mère du Bon Dieu,
Priez pour nous, qu’avons fait tant d’ péchés.
Tout pou l’heure, et au momint d’ nos in daller pou du bon.
Amen.

Autre version possible de l’Ave Maria, proposée par Emile Pécheur (1921-2015), écrivain wallon originaire la région de Saint-Hubert [6]:

Dji vos salowe, Mareye,
Les gråces do Signeur sont sor vos
Vos estoz beneye etur totes les femes
Et Djezus, ki vos avoz metou å monde, est beni.
Sinte Mareye,
Mere do Bon Diu fwait Ome,
Priyîz por nos, eberlificotés dins nos petchîs
Ådjourdu et å moumint d’ passer l’ pas,
Åmen.

Ces différentes versions de l’Ave Maria révèlent enfin un langage terre-à-terre, ancré dans le concret du quotidien. « Pleine de grâce » ne saurait se traduire littéralement. Cette formule donne lieu à ce qui se traduirait en français par « Que le Bon Dieu voit si volontiers », dans la version de l’UCW, dont la vieille dame de Wavre s’est inspirée, ou à « Les grâces du Seigneur sont sur vous« , plus proche de l’originale. Même difficulté pour « le fruit de vos entrailles », tournure à propos de laquelle la vieille dame fait remarquer: « En wallon, les entrailles ce sont les boyaux… Ce n’est pas joli à traduire comme cela! » Ce passage donne lieu à « Et Jésus, que vous avez mis au monde, est béni » ou encore, dans la version d’Emile Pécheux, « Mère du Bon Dieu fait homme ».

Recevoir et transmettre

L’Union Culturelle Wallonne, dans son feuillet de textes en wallon pour la méditation et la prière, rapporte une citation du pape François: « La foi n’est pas un héritage. Il faut la choisir, risquer un ‘oui’ à une parole d’amour qui bouleverse et change tout ». Mais si la foi n’est pas un héritage, qu’est-ce alors que notre héritage? Ancré comme de solides racines dans la terre de nos aïeux, dans la langue qu’ils parlaient, dans leurs coutumes et dans les prières qui étaient les leurs, il est un don qui nous est offert. De génération en génération, ce don offert s’est imprégné de leur expérience, de leur sagesse, de leur manière d’être, les pieds sur la terre et l’âme tournée vers Dieu. Terreau favorable à un « oui » qui ouvre à l’amour spirituel, dans le concret d’une vie simple, souvent campagnarde, notre héritage est un cadeau. Et puisque nos langues régionales en font partie, disons-le aujourd’hui en wallon: « El’ fwè, ça n’est nén en’èritance. Il l’faut chwèsi, oser dîe ‘oyî’ à in mot d’amour, qui met tout è l’air et qui candje tout! » (wallon de la région de Charleroi).

MMH
Image: Domaine public
[1] Joseph Benoit, « Belgicismes ou les Vices de langue et de prononciation les plus communs en Belgique », Anvers, 1857, p.
[2] Joseph Hanse, Albert Doppagne et Hélène Bourgeois Gielen, « Chasse aux belgicismes », Fondation Charles Plisnier, Office du bon langage, Bruxelles, 1971
[3] Michel Francard, Geneviève Geron, Régine Wilmet, Aude Wirth, « Dictionnaire des belgicismes », De Boeck, Ducolot, Bruxelles, 2010
[4] Pour réaliser cette traduction, la vieille dame s’est inspirée d’une version de l’Ave Maria proposée par l’Union Culturelle Wallonne (UCW), soit dans sa version wallo-picarde, soit dans sa version carolorégienne, citées plus bas dans l’article:
Une autre version, assez proche de celle qui nous a été proposée, de la région du Brabant Wallon également, se trouve sur cette page:  http://www.patrimoinevivantwalloniebruxelles.be/patrimoines/pratiques/fiche_pratiques/?n=52
[5] Xavier Bernier, « Tchantans nosse bia lingadje… One saqwè po li scole ! », mémoire présenté pour l’obtention du Lauréat en Pédagogie Musicale. Année 2001-2002. Promoteur : Jacques Derhet. Institut de Musique Et de Pédagogie Musicale (disponible en ligne sur le site de l’UCW). Vous trouverez dans le document en ligne « À tot spiyî. Chansons en langues régionales de Wallonie » une présentation plus détaillée de l’orthographe du wallon proposée par Jules Feller.
[6] http://rifondou.walon.org/rilidjon/aviedje.html

Paru sur CathoBel le 29 juin 2018: https://www.cathobel.be/2018/06/29/decouvrez-lave-maria-en-wallon/

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