Le 5 avril dernier, dans le journal italien La Nuova Quotidiana, le cardinal Burke affirmait que « la correction de la confusion ou de l’erreur n’est pas un acte de désobéissance, mais plutôt un acte d’obéissance au Christ et donc à Son Vicaire sur terre ». On sait que le prélat américain n’est pas toujours en accord avec le pape François. Lors d’un colloque tenu le 7 avril à Rome, il a posé la question de l’autorité du pape en matière doctrinale. L’événement était organisé par des milieux proches des auteurs des ‘Dubia’, qui s’opposent à certaines ouvertures exposées dans l’exhortation Amoris laetitia du pape François. Un rassemblement intitulé “Eglise catholique où vas-tu?” et destiné à “effacer la confusion qui règne dans l’Eglise”, rapporte le journal catholique britannique The Tablet. “Le pape doit respecter le dépôt de la foi”, a soutenu le cardinal américain. D’où la question: le pape serait-il moins infaillible qu’il n’y paraît? Quand l’infaillibilité du pape est-elle engagée? Qu’en est-il de l’infaillibilité des conciles et de celle de l’Eglise?
Infaillibilité du pape
L’infaillibilité du pape a été définie par le Concile Vatican I (1870), dans la constitution dogmatique Pastor Aeternus[1]. Le pape est infaillible signifie « préservé de toute erreur par Dieu ». Comme le souligne Mgr Jacques Perrier, évêque émérite de Tarbes et Lourdes, « l’infaillibilité ne joue que dans des conditions très restrictives ». En fait, l’infaillibilité du pape n’est engagée quand celui-ci s’exprime ex cathedra, c’est-à-dire « depuis la chaire [de Saint Pierre] ». Les conditions dans lesquelles le pape s’exprime ex cathedra, donc, de manière infaillible, sont les suivantes:- Quand le pape précise explicitement qu’il s’exprime en tant que « pasteur et docteur de tous les chrétiens ». C’est alors le « docteur universel » qui parle. Il ne s’agit pas d’un point de vue théologique privé.
- Quand le pape enseigne « en vertu de sa suprême autorité apostolique », c’est-à-dire qu’il a alors recours au droit qu’il a reçu en tant que successeur de Pierre. Il en découle que l’aspect universel des propos du pape doit être évident. Comme le fait remarquer Mgr Perrier, « est donc exclue la prise de position sur des problèmes particuliers », auxquels cas l’infaillibilité pontificale n’est pas engagée. L’enseignement du pape en ce qui concerne la politique ou l’économie n’est pas nécessairement infaillible.
- Quand le Pape définit la doctrine relative à la foi ou la morale.
Infaillibilité de l’Eglise enseignante
L’infaillibilité pontificale repose sur l’infaillibilité de la Révélation confiée à l’Eglise. Avec les cardinaux et les évêques, le souverain pontife constitue l’Eglise enseignante. Celle-ci jouit d’une infaillibilité active, puisque cette infaillibilité a trait à l’action d’enseigner[2].Comme le pape lorsqu’il s’exprime ex cathedra, les conciles œcuméniques[3] sont donc également infaillibles, car le successeur de l’apôtre Pierre et les évêques constituent à ce moment l’Eglise enseignante, et ce de Nicée I (325) à Vatican II (1962-1965). En revanche, comme le stipule la constitution dogmatique Lumen Gentium: « Les évêques, pris un à un, ne jouissent pas de la prérogative de l’infaillibilité » (Const. dogm. Lumen Gentium, 25)[4].
L’application concrète des conciles, en revanche, n’est pas nécessairement infaillible. De nombreuses discordes pourraient être évitées par une lecture attentive des textes issus de ces conciles, en même temps que des Ecritures et de tout ce que l’Eglise a transmis par l’Esprit Saint à travers les apôtres et ses successeurs au fil des siècles (c’est ce que l’on appelle la « Tradition », du latin traditio, « acte de transmettre »).
Infaillibilité de l’Eglise enseignée
Plus largement, c’est l’Eglise elle-même qui est infaillible. On distingue l’Eglise enseignante et l’Eglise enseignée, composée de l’ensemble des fidèles. Si l’Eglise enseignante jouit, comme mentionné plus haut, d’une infaillibilité active, l’infaillibilité de la seconde est passive. Pourquoi? Parce qu’elle tient essentiellement à l’écoute et à l’obéissance: « Les fidèles, qui forment ce qu’on appelle l’Eglise enseignée, doivent écouter l’Eglise enseignante […] Mépriser l’Eglise, ce serait mépriser Jésus-Christ lui-même », note le Catéchisme du Concile de Trente. En effet, l’Eglise enseignante étant elle-même infaillible, puisque Jésus a promis de l’assister jusqu’à la fin du monde (Jn 14, 16-17), à travers son obéissance, l’Eglise enseignée est également préservée de toute erreur grâce à Dieu.Ainsi, paraphrasant le cardinal Mariano Rampolla Del Tindaro, secrétaire d’Etat sous le pontificat de Léon XIII (1878 – 1903), l’historien Roberto De Mattei écrit dans Le Vicaire du Christ: « La cause et le moyen de l’infaillibilité que nous pouvons identifier au sein de l’Eglise enseignée reste l’Eglise enseignante, puisque c’est à cette dernière que le charisme de l’infaillibilité a été d’abord et directement promis ».
Vatican II réaffirme l’infaillibilité de l’Eglise enseignée en insistant sur la foi par rapport aux « vérités concernant la foi et les mœurs » (Const. dogm. Lumen Gentium, 12)[5].
L’infaillibilité de l’Eglise (enseignante et enseignée) est à mettre en parallèle avec l’infaillibilité de la Bible, écrite – sinon par les apôtres –, à partir de leur enseignement et sous l’inspiration de l’Esprit Saint.
Infaillibilité de la discipline ou de la loi ecclésiastique
Qu’en est-il à propos des lois de disciplines ou lois ecclésiastiques (contenues dans le droit canon)? Il faut distinguer les lois issues directement de l’enseignement du Christ, et qui sont des lois de droit divin, comme l’indissolubilité du mariage, d’autres lois ecclésiastiques potentiellement réformables. Auquel cas la loi ecclésiastique est sujette au changement et s’adapte à la contingence des temps. Mais dans tous les cas « il ne peut jamais arriver que la discipline établie et approuvée par celle-ci soit contraire aux règles de la foi ou à aucune des normes données dans l’évangile », comme le fait remarquer le Cardinal Louis Billot dans son Traité de l’Eglise du Christ (thèse 22 § 3). Pour le Cardinal Billot, « l’Église est infaillible dans l’établissement de la discipline ». Peut-être faudrait-il ajouter: « relativement au contexte dans lequel est établie cette discipline ».L’infaillibilité du pape, celle des Conciles et celle de l’Eglise doivent donc être envisagées telles qu’elles sont effectivement définies par Vatican I, auquel fait écho Vatican II. Ni plus, ni moins. Contre la confusion qui guette entre la personne du pape et son Office, le cardinal Burke nous met en garde: « Dans le passé, pour la plupart, les Papes n’ont pas rendu publics leurs actes et leurs opinions personnelles afin de ne pas risquer que les fidèles puissent être déroutés par ce qu’ils font personnellement et pensent comme Successeurs de Saint Pierre. Actuellement, il y a une confusion dangereuse et même nuisible entre la personne du Pape et son Office ». Selon le cardinal Burke, le pape François entretient la confusion. Il souligne le risque d’une certaine « papolâtrie ». Sans jamais y céder, il précise qu’à ses yeux, « un catholique doit toujours respecter, de façon absolue, l’Office pétrinien […] Dès qu’un catholique ne respecte plus la fonction du pape, il est disposé au schisme ou à l’apostasie de la foi ». Avec respect et fidélité au pape dans sa fonction de successeur de Pierre, il est donc essentiel pour le prélat américain que chaque catholique sache concilier l’obéissance et la foi, mais aussi la critique et le discernement quand cela s’avère nécessaire. Une attaque frontale à l’égard du pape actuel. Reste à savoir si elle donnera lieu à des sanctions.
Madeleine-Marie Humpers
[1] Le dogme de l’infaillibilité pontificale apparaît en ces termes dans Pastor Aeternus: « Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Eglise. Si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, avait la présomption de contredire notre définition, qu’il soit anathème ».
[2] Cf. Bernard Sesboüé, La parole du Salut: Histoire des dogmes, p. 185
[3] « Le concile est appelé général ou œcuménique, quand il représente l’Eglise universelle, que tous les évêques y ont été convoqués, et qu’il se tient sous l’autorité et avec la sanction du Pape, national, quand il réunit les évêques d’une nation sous la présidence d’un délégué du Pape provincial, quand il se compose des Évêques d’une province ecclésiastique, sous la présidence d’un Patriarche, d’un Métropolitain ou Archevêque. Les décisions des Conciles, et principalement des Conciles généraux, deviennent la matière de l’enseignement de l’Église ». (Catéchisme expliqué de Mgr Cauly, IXe article du Symbole des Apôtres, Je crois à la Sainte Eglise catholique)
[4] « Les évêques, pris un à un, ne jouissent pas de la prérogative de l’infaillibilité, cependant, lorsque, même dispersés à travers le monde, mais gardant entre eux et avec le successeur de Pierre le lien de la communion, ils s’accordent pour enseigner authentiquement qu’une doctrine concernant la foi et les mœurs s’impose de manière absolue, alors, c’est la doctrine du Christ qu’infailliblement ils expriment [cf. Conc. Vat. I, Const. dogm. Dei Filius, 3] La chose est encore plus manifeste quand, dans le Concile œcuménique qui les rassemble, ils font, pour l’ensemble de l’Eglise, en matière de foi et de mœurs, acte de docteurs et de juges, aux définitions desquels il faut adhérer dans l’obéissance et la foi » [cf. Conc. Vat. I, Const. dogm. Pastor Aeternus] ». (Const. dogm. Lumen Gentium, 25)
[5] « La collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1Jn 2,20 1Jn 2,27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste par le moyen du sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, « des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs » [cf. S. Augustinus, De Praed. Sanct. 14, 27] elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel. Grâce en effet à ce sens de la foi qui est éveillé et soutenu par l’Esprit de vérité, et sous la conduite du magistère sacré, qui permet, si on obéit fidèlement, de recevoir non plus une parole humaine, mais véritablement la parole de Dieu ( cf. 1Th 2,13), le peuple de Dieu s’attache indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf. Jud 1,3), il y pénètre plus profondément en l’interprétant comme il faut et dans sa vie la met plus parfaitement en œuvre ». (Const. dogm. Lumen Gentium, 12)
Publié le 11 avril 2018 sur CathoBel: https://www.cathobel.be/2018/04/11/comprendre-linfaillibilite-du-pape-et-de-leglise-obeissance-et-critique/
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