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samedi 16 mars 2019

7 motifs en faveur de la messe traditionnelle

Parfois, après une messe célébrée sous la forme ordinaire, le fidèle reste sur sa faim. L’intériorité, le sacré, l’intégration de la doctrine catholique dans l’homélie peuvent, entre autre, ne pas avoir été assez prégnants. A certains, la messe traditionnelle convient mieux et ce, pour plusieurs raisons.

A la suite du Concile Vatican II, de nombreuses célébrations se sont voulues très pastorales. Et pourtant, certains fidèles ne s’y retrouvent pas. Ils peuvent même être tentés d’abandonner la messe, tant celles qu’ils fréquentent correspondent peu à leurs besoins spirituels et à leurs attentes. Avant de découvrir la messe traditionnelle, c’est-à-dire sous la forme extraordinaire, ils tâtonnent parfois pendant longtemps. Dans les Vicariats et les paroisses où la messe est célébrée sous la forme ordinaire, bien souvent on évite d’indiquer aux fidèles qui l’ignoreraient l’existence de cette autre manière de célébrer, jugée souvent rétrograde, passéiste et surannée. Et c’est dommage, car un certain nombre de fidèles seraient bien plus assidus à se rendre à l’église, si c’était pour assister à des messes traditionnelles...

1. Un langage précis et rigoureux
Le langage doctrinal qui domine dans les messes (et surtout dans les homélies) sous la forme extraordinaire, est bien souvent plus rigoureux, plus précis et plus universel que celui des homélies des messes sous la forme ordinaire. Dans un souci pastoral, Vatican II a privilégié un « langage concret, narratif, affectif »[1]. Trop souvent, hélas, la « pastoralisation » des homélies a porté un coup à la richesse de la doctrine catholique.

2. Une participation intérieure
Sacrosanctum Concilium a voulu encourager la participation des fidèles. Il s’agissait essentiellement d’une participation intérieure, mais l’aspect extérieur l’a parfois emporté, comme si celle-ci n’avait d’autre fin qu’elle-même. Ne manque-t-elle pas alors son but, qui est bien de participer « à l’action de Dieu » ? C’est Dieu qui est le premier acteur lors de l’eucharistie : la participation du croyant à ce sacrement est d’abord une participation passive, car il s’agit d’une ouverture, d’une disposition à accueillir le don de Dieu, avant de devenir une participation active. En somme, l’obsession de la « participation active » a nui à la primauté de Dieu au sein même de la célébration, en inversant symboliquement les données de la foi.

Rappelons à ce propos que la messe a été instituée pour quatre fins : pour adorer Dieu; pour expier nos péchés; pour remercier Dieu de ses bienfaits; pour obtenir ses grâces. Toute idée de participation n’a donc de sens que si elle est ordonnée à ces fins.

3. Une « conversion » en mémoire du sacrifice du Christ
La messe n’est pas essentiellement un repas festif et convivial. La messe est une double commémoration : de la dernière Cène et du sacrifice de Jésus à la Croix, renouvelé de manière non-sanglante. Il est vrai qu’elle préfigure également le « repas des Noces de l’Agneau » (Ap 19, 7-10), mais la dimension sacrificielle ne peut être éclipsée. En effet les noces de l’Eglise et du Christ ne pourront avoir lieu qu’en raison du sang versé à la Croix. Lorsque le prêtre et l’assemblée se tournent ensemble vers l’autel, vers la Croix, vers l’Est[2], ils manifestent la conversion de leurs cœurs « tournés vers le Seigneur ». Ils expriment l’unité qu’ils forment en un seul peuple, l’Église, conscients de la nécessité de recevoir leur Salut de Dieu. Lorsqu’ils se font face, cette conversion est moins évidente. Or c’est à partir de la conversion de chacun que l’action sanctifiante de Dieu pourra se révéler dans la liturgie : le sacrifice (l’action de « rendre sacré ») est intimement lié à la conversion. 

Mais pourquoi avoir diminué ou affaibli la dimension sacrificielle ? Mgr Aillet relève, entre autres raisons, un élément d’explication : la  perte du sens du péché chez de nombreuses personnes. Pie XII ne dit-il pas que « Le péché de ce siècle est la perte du sens du péché » ? Pour que le sacrifice eucharistique puisse avoir lieu, pour qu’il ait du sens aux yeux du fidèle, celui-ci doit d’abord se reconnaître pécheur. Souligner l’aspect sacrificiel de la messe, c’est ainsi en manifester de manière claire et évidente l’aspect libérateur et salvifique.

4. Un profond respect pour le Christ-Eucharistie
Mgr Athanasius Schneider, dans son livre Corpus Christi, déplore l’irrévérence que traduit selon lui la manière de célébrer qui s’est répandue depuis Vatican II : le fidèle y reçoit l’hostie debout et dans la main, qu’il touche de ses doigts pour l’amener à sa bouche (soit comme un aliment ordinaire). Il note que « cette pratique moderne est la plus profonde des lacérations du corps mystique de l’Église du Christ »[3]. En fait, ce n’est pas le geste lui-même de toucher l’hostie qu’il déplore, non plus que la station debout de façon spécifique, mais le peu de cas que semblent faire les fidèles des Saintes Espèces. C’est en fait le minimalisme de la gestuelle pendant la célébration qu’il pointe du doigt. En revanche la manière traditionnelle de communier soutient la dimension de réception dans la relation entre le fidèle et le Christ, le rappel à l’humilité et enfin l’esprit d’enfance. Pour Mgr Schneider, s’agenouiller et déposer directement l’hostie dans la bouche des fidèles exprime l’attitude la plus adéquate pour recevoir la communion[4].
Autre problème fréquent: l’hostie est assimilée à un simple symbole religieux, puisqu’elle est consommée comme une nourriture commune, un fait qui témoigne selon Mgr Schneider de la diminution de la foi en la transsubstantiation. Rappelons que le concile de Trente avait déclaré que, « dans le vénérable sacrement de la sainte eucharistie, après la consécration du pain et du vin, notre Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, est vraiment, réellement et substantiellement contenu sous l'apparence de ces réalités sensibles ». Comment accorder un respect divin à un morceau de pain si l’on n’accepte pas l’idée que, dans sa substance, il soit Dieu Lui-même?
Mgr Schneider dénonce en outre la perte des parcelles et le vol des hosties qui peut arriver avec la communion dans la main. Avec la communion dans la bouche en revanche, cela est impossible.

Notons aussi la nécessité de l'état de grâce pour communier. La communion à genoux et dans la bouche n’aurait pas de sens si le communiant avait sur la conscience des péchés qu’il n’aurait pas confessé auparavant. Pour essentielle qu’elle soit, la gestuelle au moment de la célébration n’en éclipse donc pas pour autant l’importance des dispositions intérieures pour recevoir la communion de manière adéquate. Les fidèles donc invités à se confesser régulièrement. Si l’on reproche souvent aux messes d’avant Vatican II un certain rubricisme, la confession doit, en se consacrant aux dispositions intérieures du fidèle, écarter toute idée que le rite de la communion n’aurait de sens que pour lui-même, alors qu’il vise essentiellement la sanctification du fidèle, à condition que celui-ci se mette dans les dispositions adéquates pour cela.

5. Le droit du plus faible
Parmi les arguments avancés par Mgr Schneider afin de défendre la célébration de la messe tridentine, le plus fort est peut-être celui, justement, du « droit du plus faible ». En s’incarnant, le Fils s’est rendu vulnérable jusqu’à la crucifixion. Lors de la messe, il se fait Jésus-Eucharistie : quoi de plus fragile, quoi de plus vulnérable qu’une petite hostie ? Et pourtant, c’est précisément parce que Dieu est présent dans la fragilité de l’hostie qu’il faut la respecter infiniment. C’est là le « droit du plus faible dans l’Église » :
« Le fait que la Sainte Hostie soit si petite n’autorise personne à la traiter avec légèreté. L’être le plus petit, le plus fragile, le plus sans défense aujourd’hui dans l’Église, c’est le Seigneur sous les espèces eucharistiques au moment de la Sainte Communion. On peut avancer des raisons pastorales en faveur de la poursuite de la pratique de la communion debout et dans la main comme, par exemple, le droit des fidèles. De tels droits, cependant, violent les droits du Christ, le seul Saint, le Roi des Rois : Lui a le droit de recevoir l’excellence des honneurs divins, y compris dans la petite et sainte hostie. Voici quel est le droit du plus faible dans l’Église. »[5]

Par ailleurs Mgr Schneider rappelle qu’il serait inadéquat de prétendre que nos dispositions intérieures peuvent s’épanouir sans être reflétées dans nos gestes et nos attitudes extérieures. Ces deux aspects forment une unité et la foi en l’Incarnation s’oppose à ce que l’un soit dissocié de l’autre. Contrairement au docétisme ou au gnosticisme, la doctrine catholique de l’Incarnation exprime plutôt que Dieu n’est pas seulement une réalité spirituelle qui viendrait habiter le corps sans qu’aucune interaction ne se crée avec la réalité matérielle : Il est également le corps et la matière. L’Incarnation de Jésus-Christ se présente comme le modèle de la dignité humaine, qui interdit que l’on puisse traiter la matière, le corps, comme si elle n’entretenait aucun lien avec le sacré et le divin.

6. L’importance du latin
Le théologien Christoph Theobald rappelle l’importance du latin, « patrimoine commun à tous les peuples d’Occident » et « langue de communication » pendant des siècles : « Tout se faisait en latin : la liturgie d’abord, mais aussi la théologie et le droit de l’Église. La langue du Concile lui-même était le latin. »[6] Garantissant une « certaine uniformité dans la pensée, la célébration et l’action de l’Église », Christoph Theobald note que l’ « on pouvait se trouver à Paris, à New York ou à Melbourne, dans un petit village de l’Aveyron ou dans un hameau d’Afrique centrale, partout on était immédiatement chez soi, avec cette impression forte chargée d’émotion : c’est la même Église dans le monde entier ».  Et d’ajouter : « Le fait que très peu de gens comprenaient réellement les textes n’était pas ressenti, à l’époque, comme une véritable gêne ; la présence sacrée du "mystère" en était plutôt renforcée. » Mgr Aillet explique dans le même sens que : « L’emploi du latin, que ce soit dans l’ancien ou dans le nouveau missel, peut être un moyen de mettre en relief ce caractère sacré et mystérieux, comme un voile léger qui fait qu’on ne touche pas à main nue le mystère. […] On pourrait comparer l’usage du latin à celui par nos frères orientaux de l’iconostase. Celle-ci souligne de façon éloquente le caractère éminemment transcendant et mystérieux de ce qui s’accomplit durant la célébration. »[7]
Le Concile Vatican II ne prévoyait d’ailleurs pas la suppression totale du latin lors de la messe. Au contraire, on peut lire dans la constitution Sacrosanctum concilium que, si la langue du pays peut y trouver une « large place », « l’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins [c'est-à-dire les rites "occidentaux", dont fait partie le rite romain sous ses deux formes: ordinaire et extraordinaire] »[8].
À propos de la disparition du latin, notons enfin le problème des limites inhérentes à toute traduction,[9] quoique la messe de Paul VI ne soit pas une simple traduction de la messe de Paul V : elle a été remaniée de bien des façons.

7. Le chant grégorien
Le chant grégorien a disparu de nombreuses célébrations sous la forme ordinaire, particulièrement en ce qui concerne le « berceau du chant grégorien » : la France[10]. Mgr Nicola Bux fait ainsi remarquer que :
« [...] nous avons assisté à la disparition du répertoire musical traditionnel au profit de chansonnettes importées de la culture sécularisée, incompatibles avec l’Évangile. Avant le Concile, la musique liturgique devait lutter contre la trop grande influence de l’opéra, aujourd’hui elle est submergée par une musique légère et facile qui donne à certains l’illusion de pouvoir attirer des jeunes. La prépondérance excessive du rythme, la mièvrerie des paroles et l’utopie ou l’horizontalité mondaine en sont la marque. Ces chants ne manifestent plus le lien du quotidien à l’éternel, de devenir à l’être ou de la misère de l’homme à la miséricorde de Dieu. Ils sont davantage l’expression d’un christianisme décadent.
Le pape Benoît XVI, grand connaisseur de la musique sacrée, donne son avis sur la décadence du chant depuis la fin du Concile : il faudrait rendre à la liturgie catholique l’importante tradition musicale qui, partant du chant grégorien jusqu’à la polyphonie, de la renaissance du baroque à Bruckner, a permis de soutenir la prière dans les monastères, les cathédrales, les églises. »[11]

Pour Mgr Bux, « sans le chant grégorien, le patrimoine musical de l’Église catholique est mutilé »[12]. Or dans les messes sous la forme extraordinaire, le chant grégorien a conservé toute son importance.

Conclusion

A travers ces sept motifs, l'attachement de certains fidèles à la messe traditionnelle semblera, je l'espère, moins étrange et moins passéiste. Sans doute bon nombre de catholiques peuvent participer à des messes sous la forme ordinaire tout en la vivant de manière très intérieure et avec un grand respect pour le Christ. Sans doute la symbolique de ce type de célébration leur convient-elle, ainsi que le choix des chants, l'abandon du latin, etc. Mais d'autres ont besoin de la messe traditionnelle. Il est dommage que, comme cela arrive parfois, le désir de se rapprocher de la Tradition soit ressenti comme un rejet, ou que ce sujet fasse l’objet de tensions, voire de tabous. Choisir la messe traditionnelle ne découle pas d’un esprit d’opposition, mais d’un amour sincère du Christ et du besoin de vivre cet amour, entre autres, à travers des symboles et des rites qui donnent une place prépondérante au sacré, au sacrifice, à l'humilité du fidèle devant Dieu et devant les mystères divins. L'amour du Christ se manifeste alors dans la liturgie, et particulièrement au moment de l’eucharistie, par l'agenouillement et la communion dans la bouche. A propos de l'eucharistie, saint Thomas d’Aquin écrivait que « dans ce Sacrement se résume tout le mystère de notre salut » (Somme théologique, II, q. 83, a. 4c.). Ne s’agit-il pas simplement de nous rapprocher et de vivre, de la manière qui nous convient, du cœur la foi chrétienne ?

Madeleine-Marie Humpers 

Image: CC-BY Academia Christiana (Messe solennelle dans la forme extraordinaire du rite romain, en actions de grâce pour les 25 ans de la fraternité sacerdotale Saint-Pierre dans l'église Saint Sulpice à Paris)




[1] Mgr Marc Aillet, Vatican II. Le Concile en questions, Artège, 2015, p. 35
[2] Traditionnellement l’autel symbolise ceci que « Jésus-Christ est la pierre angulaire de l’Église ». Cette image du Christ comme pierre angulaire a donné lieu dès le VIème siècle à la construction des autels exclusivement en pierre. Pour le prêtre, il s’agit, en se tournant vers l’autel, de se tourner vers le Christ, vers Dieu, symbolisé par cet autel de pierre, ainsi qu’en direction de la Croix.
Bien souvent, selon l’orientation des églises, cela revient également à prier en direction de l’Est, vers le soleil levant, comme l’explique le futur pape Joseph Ratzinger : « Les chrétiens ne prient pas en direction du Temple, mais en direction de l'Est: le soleil levant, qui triomphe de la nuit, symbolise le Christ ressuscité et les chrétiens y voient en même temps le signe de son retour. Dans son attitude de prière, le chrétien exprime son orientation vers le ressuscité, qui est le véritable point de référence de sa vie avec Dieu. » (Joseph Ratzinger - Benoît XVI, Un chant nouveau pour le Seigneur. La Foi dans le Christ et la liturgie aujourd'hui, Paris, Desclée-Mame, Paris, 1995, p.119)
[3] Mgr Athanasius Schneider, Corpus Christi, Renaissance catholique, coll. « Contretemps », La Plaine Sainte Denis, 2014 [2013], p.47
[4] « Ce geste  signifie que c’est le Christ dans la personne même du prêtre qui nourrit les fidèles. En outre, ce geste entend nous rappeler à l’attitude d’humilité et à l’esprit d’enfance spirituelle que Jésus Lui-même exige de ceux qui veulent entrer dans le Royaume de Dieu (Matt XVIII, 3) » (Mgr Athanasius Schneider, op. cit., p. 51)
[5] Mgr Athanasius Schneider, op. cit., p. 58-59
[6] Christoph Theobald, « Du latin aux langues de la Pentecôte » (septembre 2012) - disponible en ligne à l’adresse :  https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Vatican-II/Les-grandes-avancees/L-Eglise-renonce-au-latin
[7] Mgr Marc Aillet, La Liturgie de l'Esprit, Artège, 2012, p. 24-25
[8] Sacrosanctum concilium, n°36. La langue liturgique :
1. L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins.
2. Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ; on pourra donc lui accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants, conformément aux normes qui sont établies sur cette matière dans les chapitres suivants, pour chaque cas.
[9] Cf. Florian Michel, Traduire la liturgie, Paris, CLD, 2013
[10] Comme l’écrit Sœur Adeline de l’abbaye ND de Wisques, sur le site du Diocèse d’Arras : « Paul VI, qui s’était alarmé bien avant l’État français de la disparition du chant grégorien en France, avait supplié Dom Jean Prou (Abbé de Solesmes, supérieur de notre Congrégation de 1959 à 1992) de garder vivant ce trésor dans sa congrégation » - Sœur Adeline de l’abbaye ND de Wisques, maîtresse de Choeur, « Le chant grégorien » (21 mai 2009) - disponible en ligne à l’adresse : http://arras.catholique.fr/page-17147.htm
[11] Mgr Nicola Bux, La foi au risque des liturgies, Paris, Artège, 2011 [2010], pp. 67-68
[12] ibid., p. 69

vendredi 15 mars 2019

De la fierté d'être catholiques

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Des saints, des papes, des personnalités très diverses ont fait résonner cet appel à travers les époques, des premiers siècles jusqu’à aujourd’hui: « Soyez fiers d’être chrétiens! ». Ainsi Benoît XVI souhaitait des « témoins courageux et sans complexes ». Qu’en est-t-il au juste ?
 
Les contextes changent mais le message reste identique: il s’agit de garder la conscience profonde de notre dignité, de porter fièrement le nom de chrétien.
Qui sont ces hommes qui ont affirmé avec force ce sentiment ? Dans quelles circonstances a donc retenti cet appel à la fierté? Quelles en étaient les implications ? Et qu’est-ce qu’au fond la fierté?

Dans la Bible
Tout d’abord Jésus lui-même mettait ses disciples en garde contre le sentiment de honte: « Quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aura aussi honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père, avec les saints anges » (Marc 8, 38). A contrario, celui qui vit chrétiennement est, selon Saint Paul, une gloire pour les siens : « notre gloire et notre joie » (1 Th 2,19-20)[1]« Que nul de vous, en effet, ne souffre comme meurtrier, ou voleur, ou malfaiteur, ou comme s'ingérant dans les affaires d'autrui. Mais si quelqu'un souffre comme chrétien, qu'il n'en ait point honte, et que plutôt il glorifie Dieu à cause de ce nom », peut-on lire dans la première lettre de saint Pierre (1 Pierre 4, 15-16).
Des papes ont par la suite appelé les chrétiens à être fiers de leur appartenance au Christ, en « reconnaissant leur dignité », à commencer par le pape Léon Ier, suivi notamment d’Urbain II et, plus tard, de Jean-Paul II et de Benoît XVI.

Des papes parlent de fierté…
« Reconnais, ô chrétien, ta dignité », affirmait le pape Saint Léon le Grand, au Ve siècle,  « veille à ne pas retomber par une conduite indigne dans ton ancienne bassesse. Souviens-toi de quelle Tête et de quel Corps tu es membre »[2]. A l’époque où le pape Léon Ier parlait en ces termes, la situation de l’empire et de la chrétienté était difficile : « D’un côté, l’Italie vient d’être envahie par les barbares, les Uns et les Vandales, et d’un autre côté, l’Église est infestée par toute sorte d’hérésie touchant en particulier la divinité du Christ », a expliqué Mgr Jean-Charles Dufour, aumônier des Servantes de Jésus-Marie, dans son homélie du 10 novembre 2017. « Il prêcha à temps et à contretemps, avec simplicité et profondeur, dignité et tendresse. Il a été un gérant habile. Ce n’est pas pour rien qu’on lui a donné le titre de « Grand » ». En effet, lors de sa rencontre avec Attila en 452 à Mantoue, Léon Ier persuade le conquérant de rebrousser chemin. En 455, face à Genséric, le pape Léon ne put éviter le pillage de la ville de Rome. Mais grâce à ses négociations, les Vandales ne tuèrent aucun habitant, Rome ne fut pas incendiée et il n’y eut ni viol, ni violence. « Il déploya un courage authentique et modeste quand il affronta les barbares. On le compare à un lion qui a dompté la férocité d’Attila, le chef des barbares », note Mgr Dufour. Le pape Léon Ier avait à cœur de protéger les chrétiens. Il les a protégés sur le plan théologique par ses positions face aux hérésies. Il les a protégés aussi sur le plan social et politique, face aux invasions barbares. Plus de deux siècles après sa mort, l'un de ses successeurs, Serge Ier lui a rendu hommage et, ce faisant, lui a attribué cette devise : « Je veille pour que le loup, toujours à l'affût, ne saccage pas mon troupeau ».

Plus tard, à la fin du XIe siècle, le pape Urbain II exhorte les chrétiens d’Occident à venir au secours des chrétiens d’Orient, ainsi qu’aux pèlerins qui se rendent en Terre sainte. C’est l’appel à la Croisade. À cette époque, les Turcs seldjoukides ont pris Jérusalem et la situation se dégrade: « Ces Turcs détruisent les églises; ils saccagent le royaume de Dieu », note le pape. « Aussi je vous exhorte et je vous supplie – et ce n’est pas moi qui vous y exhorte, c’est le Seigneur lui-même – [...] de se rendre à temps au secours des chrétiens et de repousser ce peuple néfaste loin de nos territoires. Je le dis à ceux qui sont ici, je le mande à ceux qui sont absents: le Christ l’ordonne ». C’est dans ce cadre que le pape Urbain II met en garde les chrétiens contre le risque d’une défaite honteuse. Face à l’ennemi qui persécute les chrétiens, le pape n’hésite pas à employer des mots durs: c’est un « peuple dégradé », « esclave des démons ». Le pape somme les chrétiens, non seulement d’être dignes, mais de « trouver d’autres hommes qui soient dignes » également: « Quelle honte, si un peuple aussi méprisé, aussi dégradé, esclave des démons, l'emportait sur la nation qui s'adonne au culte de Dieu et qui s'honore du nom de chrétienne ! Quels reproches le Seigneur Lui-même vous adresserait si vous ne trouviez pas d'hommes qui soient dignes, comme vous, du nom de chrétiens ! Qu'ils aillent donc au combat contre les Infidèles – un combat qui vaut d'être engagé et qui mérite de s'achever en victoire –, ceux-là qui jusqu'ici s'adonnaient à des guerres privées et abusives, au grand dam des fidèles ! Qu'ils soient désormais des chevaliers du Christ, ceux-là qui n'étaient que des brigands ! »

Pour Urbain II, la fierté est liée à la capacité à s’engager pour ses frères et sœurs chrétiens persécutés, y compris à travers le combat armé. Agir à la hauteur du nom dont on s’honore implique que la guerre ne doit pas poursuivre un but personnel, ainsi les « guerres personnelles et abusives » sont rejetées. À une « guerre juste », il faut en effet une « cause juste » et une « intention juste », en plus de l’autorité sous laquelle est placée l’action militaire. C’est la doctrine de la guerre juste, que l’on retrouvera notamment chez Saint Thomas d’Aquin.

Plus récemment, le pape Jean-Paul II faisant résonner les paroles du pape Léon le Grand, déclarait à Paris: « “Reconnais, ô chrétien, ta dignité”, disait le grand Pape saint Léon. Et moi, son indigne successeur, je vous dis à vous, mes Frères et Sœurs catholiques de France: Reconnaissez votre dignité! Soyez fiers de votre foi, du don de l’Esprit que le Père vous a fait! […] Donnez à l’Église et au monde l’exemple de votre fidélité sans faille et de votre zèle missionnaire » (Jean-Paul II à Paris, vendredi 30 mai 1980). Durant cette seconde moitié de XXe siècle où la pratique religieuse s’effondre, où la déchristianisation se marque avec force, il s’agit tout d’abord de « reconnaître sa dignité ». Là, on ne « s’honore » plus du nom de chrétien: la fierté ne va plus de soi. Dans un Occident de plus en plus déchristianisé, l’appel à la mission est tout de même présent, mais l’évangélisation inclut désormais le « dialogue interreligieux » qui « fait partie de la mission évangélisatrice de l’Église », selon Jean-Paul II (Redemptoris missio, 55). 

Du côté de la « Terre d’islam », malgré les changements politiques, malgré les siècles et les aléas de l’histoire, la persécution des chrétiens d’Orient est toujours une réalité. Un article du Figaro rapporte ainsi: « Le XXème siècle avait vu l'érosion progressive mais irrésistible de la présence des derniers Chrétiens qui atteignaient encore dans les années 50 entre 15 et 20% des populations d'Orient pour ne plus représenter que 3 ou 4% à la fin du siècle ». Les persécutions des chrétiens d’Orient ouvrent la voie, peu à peu, à leur disparition. La menace pour eux est toujours plus présente. Mais du côté du Vatican, c’est l’ouverture et le dialogue qui priment. Admettons. Jusqu’où le dialogue interreligieux est-il compatible avec l’évangélisation et à quelles conditions ? 

A Compostelle en 1982, le pape Jean-Paul II encourage les européens à retrouver leurs racines: « Je lance vers toi, vieille Europe, un cri plein d'amour: Retrouve-toi toi-même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Avive tes racines. Revis ces valeurs authentiques qui ont rendu ton histoire glorieuse, et bienfaisante ta présence sur les autres continents ». Pour que le dialogue interreligieux puisse donner lieu à l’évangélisation, la conscience profonde de notre histoire et de notre foi est essentielle. Sans quoi le dialogue ne porterait pas de fruit, et ne serait que bavardage. Un bavardage d’autant plus condamnable que, pendant ce temps, nos frères et nos sœurs d’Orient s’éteignent à petit feu.

En 2003, dans son homélie pour l’exhortation Ecclesia in Europa, Jean-Paul II soulignera à nouveau l’importance de retrouver nos « racines » (c’est-à-dire, au sens étymologique et premier du mot, de nous « radicaliser »): « Les racines chrétiennes sont pour l'Europe la principale garantie de son avenir. Un arbre sans racines pourrait-il vivre et se développer? »
La fierté suppose que nos actions soient conformes à nos valeurs et à nos principes. Les saints et les grandes figures du passé peuvent servir d’exemple.

Ensuite lorsque le pape Benoît XVI s’adresse à la jeunesse catholique en 2011, il les invite à être des chrétiens décomplexés, courageux et authentiques. À la suite de Jean-Paul II, il défend lui aussi les « racines chrétiennes » de l’Europe : « Il [Le Christ] vous envoie pour être des témoins courageux et sans complexes, authentiques et crédibles ! N’ayez pas peur d’être catholiques, d’en témoigner toujours autour de vous avec simplicité et sincérité ! […]Soyez ses témoins. Portez aux autres le message de l’Évangile. Par votre prière et par votre exemple de vie, aidez l’Europe à retrouver ses racines chrétiennes » (Benoît XVI à Madrid, aux JMJ, dimanche 21 août 2011).

Parmi les évêques et les prêtres…
Au sein du clergé, bien d’autres nous rappellent l’importance et la valeur de la fierté. « Voilà la beauté du christianisme !, s’exclame Mgr Pierre d'Ornellas, Soyez dans l’action de grâce ! Soyez fiers de porter le nom de « chrétien » ! »[3].

A Madrid, Mgr Ricard prendra soin quant à lui de distinguer la fierté de l’orgueil. La fierté est tournée vers le Christ, elle naît de l’accomplissement de la mission qu’il nous a confiée. L’orgueil au contraire ne vient pas de l’obéissance à la volonté de Dieu, mais de la prétention à s’élever seul au-dessus des autres. La fierté soutient la mission, tandis que l’orgueil isole celui qui s’y adonne. « Nous avons à retrouver la fierté d’être chrétiens [...] Cette fierté n’est pas de l’orgueil. Elle n’est pas non plus un sentiment de suffisance ou de supériorité. Car ce qui fait notre fierté, le Christ et son salut, n’est pas une propriété qui nous appartiendrait et qui ferait de nous des privilégiés distants des autres.  Mais il est un don offert à tous. Tous peuvent l’accueillir et entrer dans cette fierté » (Mgr Jean-Pierre Ricard à Madrid, aux JMJ, vendredi 19 août 2011).

L’abbé Pierre-Hervé Grosjean précise lui aussi le sens de la fierté. La tendance de nombreux catholiques à se faire excessivement discrets, jusqu’à « cacher » leur catholicité, ne lui échappe pas. Il recommande à chacun d’être « fort dans ses convictions » et « décomplexé »: « Dire qu'on est chrétien ne veut pas dire qu'on va privilégier injustement nos frères de religion dans un jugement rendu ou dans un contrat – les catholiques sont trop scrupuleux pour même y penser ! – ou qu’on cherche à imposer notre foi à tous. C’est dire simplement ce qu’on est. Comme on dit qu’on est, par exemple, marié ou breton. Cela fait partie de nous. Pourquoi mettre autant de soin à le cacher ? Nous ne sommes pas adeptes du secret, comme les francs-maçons. Nos œuvres n’ont rien à craindre de la lumière, contrairement aux leurs. Si nous ne nous rendons pas visibles, on finit par croire que les catholiques sont absents ; le seul qui osera évoquer sa présence à la messe le dimanche passera du coup pour un Martien. Si on sent les catholiques craintifs ou complexés, cela donne encore plus envie de les enfoncer ! Alors qu’on respectera plus facilement celui qui assume sa foi sans complexe et sans fanfaronnerie ; on le sent fort dans ses convictions, solide et debout, sans être agressif. Rappelons-nous Benoît XVI à Madrid : « Soyez des témoins décomplexés ». Cela nous forcera surtout à être meilleurs : car à partir du moment où l’on sait que vous êtes catholique, c’est peu dire que vous êtes attendu au tournant. Dans l’esprit de vos collègues, au-delà des moqueries initiales, on attend que vous soyez quelqu’un de bien. Sinon, on aura tôt fait de crier à l’hypocrisie. Au fond, beaucoup plus de personnes qu’on ne le croit attendent ce témoignage des chrétiens et le respectent s’il est authentique »[4].

La fierté est exigeante…
La fierté exige que l’on agisse à la hauteur de ses propres standards. L’estime de soi est à ce prix, et l’on ne peut être fier si l’on n’a pas d’estime pour soi-même. Cela demande des efforts, car la fierté est aussi tendue vers un sens élevé de la dignité et de l’honneur. Nous ne sommes pas parfaits, mais quand bien même nos faiblesses nous ramènent dans le péché, la force et le discernement reçus de Dieu nous permettent de nous relever. Dans la difficulté et la peine que nous rencontrons, nous apprenons ainsi dans le même temps l’humilité et la fierté. Notre modestie n’est pas auto-dévalorisation, nous n’avons pas à nous dénigrer. Mais nous devons nous auto-évaluer constamment pour veiller à rester dans la droite ligne de la mission que Dieu nous a confiée. Cette vigilance permanente nous évitera trop d’égarements. La fierté qui est la nôtre peut nous amener à nous retrouver « à contre-courant », selon les termes du Cardinal Sarah: « Osez aller à contre-courant. Pour nous chrétiens, la direction opposée n’est pas un lieu, c’est une personne, c’est Jésus Christ » (lundi 21 mai à Chartres). Par lâcheté, par peur de déranger ou d’être isolé, nous pouvons perdre notre fierté et renier le Christ et, par là, nous renier nous-mêmes. Quoi que nous fassions, le souci de la fidélité doit donc toujours nous accompagner. Car notre fierté, c’est essentiellement notre fidélité au Christ.

Madeleine-Marie Humpers

[1] S'adressant aux Thessaloniciens, Saint Paul déclarait: « Qui est, en effet, notre espérance, ou notre joie, ou notre couronne de gloire? N'est-ce pas vous aussi, devant notre Seigneur Jésus, lors de son avènement? Oui, vous êtes notre gloire et notre joie ». (1 Th 2,19-20)
[2] Saint Léon le Grand, in P. Benoît Pruche o.p., "Histoire de l'homme, mystère de Dieu", Desclée de Brouwer, Paris, 1961
[3]Mgr Pierre d'Ornellas, « Fiers d’être chrétiens » (article disponible en ligne: http://www.catechese.catholique.fr/nos-productions/l-oasis/l-oasis-n-3/un-peu-de-theologie-fiers-d-etre-chretiens.html)
[4] Abbé Pierre-Hervé Grosjean, Catholiques, engageons-nous !, Artège, 2016


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