Rechercher dans ce blog

dimanche 26 mai 2019

Stérilité. Faire le deuil de la maternité



Espérer fonder une famille, et se découvrir stérile. Souhaiter devenir mère, et apprendre que cela n’aura pas lieu. La stérilité (ou l’infertilité) est tout d’abord un choc. Pour le surmonter, différentes étapes sont nécessaires. Sans négliger la foi, qui peut jalonner ce parcours difficile...

Pour continuer à vivre et être heureuse, une femme stérile doit traverser une série d’étapes douloureuses, qui lui permettront de faire son deuil. Un deuil un peu particulier, à plusieurs visages : deuil de l’enfant que l’on n’aura jamais, deuil de la mère que l’on croyait pouvoir devenir et que l’on ne sera pas, deuil de cette vie de famille dans laquelle on inscrivait déjà notre avenir... C’est le deuil d’un projet, c’est le deuil d’une vie qu’il faudra porter, au lieu de cet enfant, irrémédiablement absent...

Toute personne qui vit une période de deuil passe généralement plusieurs étapes : le déni, éventuellement la culpabilité, la colère, le marchandage, la dépression, la reconstruction et finalement l’acceptation[1]. Comment ces différentes étapes sont-elles vécues dans le cas du deuil de la maternité ? Et comment les dépasser, spécialement lorsqu’on est croyant ?  

1. Le déni
La situation semble irréelle, impossible à intégrer. Une réaction peut être alors de nier la réalité : une manière de se protéger face à la douleur, qui paraît encore insupportable. Ici, une femme stérile se dira peut-être : « Et si, malgré tout, ce mois-ci je tombais enceinte ? », « Telle femme a eu un enfant alors que tout semblait perdu. Alors pourquoi pas moi ? ». Elle continue d’espérer envers et contre tout. La difficulté est qu’effectivement, il existe des cas de grossesse totalement incroyables : des femmes qui sont tombées enceintes alors que la médecine estimait cela (presque) impossible pour différentes raisons, des couples qui ont eu un enfant après cinq ans, ou même dix ans d’attente... Le problème est qu’à force de se focaliser sur ces cas à peu près miraculeux, la femme stérile reste tout simplement dans la phase de déni, ce qui bloque sa progression dans le processus de deuil. Il est important de voir les choses en face : les miracles existent, oui, mais pour combien de personnes ? Pensez à tout le chemin qu’une femme peut parcourir si elle entreprend une démarche de deuil, et a contrario à tout le temps perdu à attendre cet enfant qui ne viendra peut-être pas, à tous ces mois gâchés à espérer dans la souffrance alors qu’une autre voie est possible... Il est important de sortir du déni pour pouvoir avancer, même s’il peut être très douloureux d’admettre la réalité, de se reconnaître stérile.

Quelques phrases pour dépasser la phase de déni :
« Oui c’est vrai, je n’aurai pas d’enfant. Et je suis capable de rendre ma vie très belle malgré cela ! »
« Même si pour l’instant l’avenir me fait peur, même si la douleur paraît trop forte, je sais que ces impressions sont passagères. Ce ne sont que des illusions ! Je suis capable de plus que je ne le crois ! »

2. La culpabilité
Durant cette phase, la personne est consciente de la situation : la femme stérile réalise qu’effectivement, ses chances d’avoir un enfant sont minimes, voire nulles. Un sentiment de culpabilité peut alors émerger de manière insidieuse. Tout dépend de la situation... Si un problème médical explique sa stérilité, la femme stérile pourrait se sentir amoindrie à cause de cela, coupable en quelque sorte. Par exemple, s’il s’agit d’un problème médical qui aurait pu être traité : « Et si j’avais consulté plus tôt ? »... Dans le cas où elle est déjà proche de la ménopause : « Et si j’avais essayé plus jeune ? »... ou bien, admettons qu’elle ait contracté une maladie vénérienne l’ayant rendue stérile : « Et si j’avais mené un vie plus sérieuse ? ». S’il s’agit d’une stérilité ou infertilité idiopathique (inexpliquée), le sentiment de culpabilité peut se traduire autrement. Il s’ancre alors dans des croyances plus ou moins rationnelles... Certaines femmes stériles en viennent à se demander si, au fond, leur psychisme fonctionne bien correctement, elles scrutent tout blocage éventuel qui plongerait ses racines dans l’inconscient...  « C’est sûrement psychologique », entendent-elles autour d’elle. Alors, pleines de bonne volonté, elles décident de prendre le taureau par les cornes pour déjouer ce fameux « blocage » et entreprennent une thérapie. Ou bien : « C’est parce que tu y penses trop ». Là encore, il s’agit de travailler sur soi, de lâcher prise, de se détendre... puisque le problème semble encore venir d’elle, cette femme stérile inexorablement coupable ! Or si certains cas de stérilité trouvent leur origine dans un blocage psychologique ou dans un désir de maternité qui vire à l’obsession, ce n’est pas une généralité. Il arrive que ce soit seulement la « faute à pas de chance » ! Une femme stérile n’est pas forcément une créature monomaniaque ou déséquilibrée, elle n’est pas forcément plus rongée de névroses maladroitement refoulées qu’une mère de famille ordinaire. Des croyances religieuses malvenues peuvent s’avérer tout aussi néfastes. Certaines femmes stériles pourraient penser que leur stérilité est une punition pour un péché commis, elles scrutent alors leur passé à la loupe pour dénicher ce fameux péché et faire pénitence... Dans les deux cas, la difficulté tient à ceci : accepter qu’une situation douloureuse puisse ne pas avoir d’explication logique. C’est une véritable épreuve. C’est le problème de la souffrance de l’innocent. Et là, le besoin de tout expliquer joue parfois des tours... Du point de vue de la psychologie, l’issue pour une femme stérile réside peut-être davantage dans un travail de deuil que dans un remue-ménage (stérile, pour le coup) de son inconscient. Du point de vue religieux, la femme stérile est plus proche de Job, cet innocent qui souffre injustement et qui préfigure déjà le Christ, que du pécheur contre lequel Dieu s’acharne jusqu’à ce qu’il reconnaisse sa faute.

Quelques phrases pour dépasser la phase de culpabilité :
« Je suis tout aussi équilibrée et saine qu’une femme capable d’avoir des enfants »
« Je suis stérile et je suis innocente »
« Je ne suis pas coupable d’être stérile »
« Ne pas avoir d’enfant ne m’empêche pas d’être une femme de qualité »

3. La colère
A ce stade, la femme stérile sait qu’elle n’est ni responsable, ni coupable. Et justement, c’est alors que survient la colère. Car si elle ne vaut pas moins qu’une autre, pourquoi ne parvient-elle pas à donner la vie comme les autres femmes? « Pourquoi cette femme, qui s’est si peu ou si mal occupée de ses enfants, est-elle tombée enceinte si facilement, alors que moi, qui ai tant d’amour et de tendresse à donner, je suis stérile ? », « Pourquoi cette fille est-elle tombée enceinte alors qu’elle n’était qu’une adolescente tandis que moi, qui suis dans les bonnes conditions pour élever un enfant, je n’en ai pas? ». De telles réflexions ont de quoi la mettre hors d’elle car, c’est vrai, c’est injuste ! Le défi, ici, est d’accepter cette dure réalité : il n’y a pas de justice. Il n’y a aucune justice. La colère en effet est une émotion liée à un sentiment d’indignation ou d’injustice parfois légitime. Cette injustice nous révolte et la colère monte... Mais si l’on s’enferme dans cette colère, on ne peut que devenir aigrie et malheureuse. Et pourtant accepter de vivre une situation d’injustice n’est pas chose facile... Mais c’est aussi, la Croix : cette injustice contre laquelle se heurte notre désir d’équité.

Quelques phrases pour dépasser la phase de colère :
« Je suis stérile et c’est injuste... Oui, c’est vrai. Et alors ?! Ce n’est pas cela qui va m’empêcher d’être heureuse, selon mes propres ressources et d’une manière qui ne ressemblera qu’à moi ! »
« Je ne peux rien changer à mon incapacité à donner la vie, mais je peux envisager ma propre vie autrement, pour que cette stérilité ne me hante pas » 

4. Le marchandage
Dans cette phase, la personne tente de négocier la situation. Elle voudrait changer cette situation en promettant un changement, une amélioration de son propre comportement. Dans le cas d’une rupture amoureuse par exemple, la personne pourrait être tentée de dire à l’autre : « Si tu me donnes une deuxième chance, je te promets de me montrer plus attentionné ». Dans ce cas, pourquoi ne pas tenter le coup ? Mais dans le cas de l’infertilité, avec qui négocier ? Quelle forme prendra le marchandage ? Il peut s’exprimer notamment sous forme religieuse : « Mon Dieu, je ferai célébrer des messes autant qu’il faudra, jusqu’à ce que j’aie un enfant ! ». De cette manière, la prière peut parfois tourner à une forme de négociation ou de marchandage. On se convainc que si l’on dit autant de prières, autant de chapelets, ça finira bien par arriver... Bien sûr il est écrit : « Demandez et l’on vous donnera » (Mt 7, 7), mais ce passage fait référence aux biens spirituels, aux vertus, et non à un bonheur terrestre[2]. Un chrétien, et plus particulièrement ici, une femme chrétienne, n’est rien censé désirer que des vertus spirituelles. Il n’est pas écrit : « Demandez un bébé et l’on vous en donnera un » ! La consolation ne consiste pas en cela. Dans le désert, lorsque Satan tente de détourner Jésus de sa mission, ce dernier lui rappelle cette recommandation: « Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu » (Mt 4, 7). Nous n’avons pas à mettre Dieu à l’épreuve en marchandant avec Lui un bébé contre quelques prières... Et dans le jardin des oliviers, Jésus dit encore : « Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui soit faite. » (Lc 22, 42). Par ailleurs en commentant l’évangile de Luc (Lc 20, 27-40) et après avoir rappelé en quoi consiste la loi du lévirat formulée dans le Deutéronome, ainsi que ses implications concrètes dans le monde juif antique, Georgette Blaquière dans son livre La grâce d’être femme, note que, du point de vue chrétien, la valeur d’une femme ne se mesure pas à sa capacité à enfanter. « Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection », a déclaré le Christ. Et Georgette Blaquière commente : « Jésus ici ouvre d’immenses horizons, en particulier pour la femme, en dissociant le salut de la personne et l’avenir de l’être de l’accomplissement de fonctions mêmes "sacrées" en ce monde-ci. La personne de la femme n’est plus identifiable, ni à sa fécondité, ni à sa sexualité ; elle existe en soi, née de Dieu et pour Dieu »[3]. Puisque l’avenir spirituel de la femme ne se situe pas dans l’enfantement, mais dans le Royaume de Dieu, son désir de maternité risque de n’avoir aucun écho auprès de Dieu. Cela ne signifie pas que Dieu ait moins d’égard pour elle que pour les autres femmes. Simplement, là n’est pas l’essentiel. Et dès lors ses prières pour avoir un enfant, aussi nombreuses et sincères soient-elles, pourraient bien ne pas être exaucées...

Quelques phrases pour dépasser la phase de marchandage :
« Mon bonheur ne dépend pas de cet enfant que je n’aurai pas, mais de Dieu. »
« Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui soit faite. » (Lc 22, 42)
« Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu » (Mt 4, 7)

5. La dépression
Dans cette phase de tristesse, de chagrin, d’abattement, la personne est consciente de la situation. Elle sait qu’elle n’est pas coupable et qu’il n’y a pas lieu de crier à l’injustice. Elle sait aussi qu’il est inutile de prier ou de faire quoi que ce soit pour changer les choses... simplement la personne souffre, c’est la souffrance à l’état pur. Sans consolation. La femme stérile sait qu’elle est stérile. Elle sait que, même si les miracles existent, ses chances sont à peu près nulles d’avoir un enfant un jour. Elle sait que, même si elle prie, cela ne changera strictement rien : elle sera toujours aussi stérile. Il n’y a rien à faire. Sinon se dire que l’important, c’est le domaine spirituel. Ou bien trouver des petites consolations qui n’en sont pas vraiment : après tout, sans enfant, c’est plus facile financièrement. Maigres consolations à vrai dire... Car dans cette phase de dépression, soit on n’est pas assez saint, soit on n’est pas assez matérialiste : ni les joies célestes, ni votre compte-épargne plus ou moins rempli ne parviennent à apaiser votre chagrin. On a le cœur serré, on souffre, on a mal et c’est tout.

Quelques phrases pour dépasser la phase de dépression :
« Je me donne le temps qu’il faut pour éprouver ma peine ».
« Le chagrin est une étape, après viendra un renouveau ». 

6. La reconstruction
Durant cette phase, la personne s’ouvre à de nouveaux projets, à de nouvelles activités. La femme stérile se réconcilie peu à peu avec la réalité. Sa féminité blessée, sa stérilité ne l’empêchent plus d’envisager l’avenir de manière positive. Cette phase de reconstruction s’apparente à une forme de résilience. La résilience est la capacité à rebondir, à faire face à un choc ou un traumatisme, pour ensuite se reconstruire de manière socialement acceptable. « Personne ne prétend que la résilience est une recette de bonheur. C'est une stratégie de lutte contre le malheur qui permet d'arracher du plaisir à vivre, malgré le murmure des fantômes au fond de sa mémoire », note Boris Cyrulnik, qui a fait connaître ce concept dans le monde francophone[4]. La phase de reconstruction peut donc être véritablement éprouvante, mais la femme stérile cesse d’être esclave de sa souffrance. Dans la phase de reconstruction, la « lutte contre le malheur » est bien entamée. C’est une phase d’espoir et de renouveau. Du point de vue religieux, la femme stérile se réconcilie progressivement avec Dieu également.

Quelques phrases pour avancer dans la phase de reconstruction :
« Tout être blessé est contraint à la métamorphose » (Boris Cyrulnik)
« Si tu traverses l’enfer, continue d’avancer » (Winston Churchill)

7. L’acceptation
A ce stade, la personne endeuillée a pratiquement terminé son deuil. Pour la femme stérile, elle est parvenue à s’accepter comme telle. Elle a retrouvé sa confiance en elle et son estime de soi. Éventuellement, si elle est croyante, elle est aussi parvenue à retrouver une relation saine avec Dieu, sans culpabilisation ni marchandage. Sa foi en sera peut-être même grandie... Et la vie peut reprendre son cours. Une page s’est fermée définitivement. La femme stérile sait qu’elle ne sera jamais mère au sens naturel du terme. Ce chapitre-là ne fera pas partie du livre de sa vie, mais d’autres chapitres viendront... Peut-être certaines décideront d’adopter, d’autres se tourneront vers d’autres projets, avec ou sans enfants. Tout dépend des circonstances, de la personnalité de chacune et de l’avis de son mari...

A noter que ces phases ne se déroulent pas nécessairement de manière parfaitement linéaire: parfois, des périodes de colère peuvent être suivies d'une période de déni, puis vient le marchandage, puis la culpabilité... Et tout le monde ne passe pas forcément par toutes ces étapes. Il s'agit d'un modèle très général, qui ne s'applique pas de manière absolument systématique.

Le deuil, cette leçon de foi

Pour conclure, nos vies sont jalonnées d’une série de frustrations, de déceptions et de deuils. Le deuil est bien sûr un chemin douloureux, en général et en particulier pour la femme stérile, mais il est le seul chemin qui permette de surmonter ces frustrations et ces déceptions. « Nous portons nos propres projets qui semblent être voués à l’échec dès le début par la vie », écrit Sœur Maria Grace lorsqu’elle présente la biographie de Sainte Gemma Galgani[5]. Si cette sainte, vierge et mystique, n’a pas été confrontée au problème de la stérilité puisqu’elle n’a jamais été mariée, elle a vécu des deuils importants et pour Sœur Maria Grace, l’exemple de Gemma Galgani permet de mieux comprendre quelle attitude doit être la nôtre lorsque notre deuil est terminé. « La vie est une série de perte, et petit à petit, nous sommes délestés de toutes les choses auxquelles nous nous accrochions. Notre façon habituelle de composer avec de telles pertes consiste simplement à endurer la douleur avec un brin d’apitoiement sur soi-même. Mais le message de Gemma est le suivant : Ne laissons pas nos pertes nous être simplement arrachées, mais cédons-les volontairement, et de bon cœur, avec amour au Seigneur ». Une attitude d'abandon total et d'adhésion parfaite à la volonté de Dieu, qui n’est sans doute possible qu’au terme d’une longue démarche... En attendant, femme stérile, prenez soin de vous et donnez-vous le temps de devenir un jour, petit à petit, une femme stérile parfaitement épanouie, pleine de foi et d’espérance !

Madeleine-Marie Humpers

Illustration: CC-BY-SA Madeleine H.


[1]En 1969 la psychiatre suisse Elisabeth Kübler-Ross a identifié cinq étapes du deuil, lorsqu’elle s’intéressait aux personnes en fin de vie. Ce modèle a été repris de manière plus large pour  décrire le deuil en général, mais il a aussi été modifié et/ ou étoffé. La phase « culpabilité » (ou « douleur ») n’apparaît pas tel quel dans le modèle du Dr Kübler-Ross, et la phase « reconstruction » se fond dans la phase d’ « acceptation ». 
[2] « 7Demandez, et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira. 8Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l'on ouvre à celui qui frappe. 9Lequel de vous donnera une pierre à son fils, s'il lui demande du pain? 10Ou, s'il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent? 11Si donc, méchants comme vous l'êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent » (Louis Segond).
[3] Georgette Blaquière, La grâce d’être femme, Saint-Paul, Paris-Fribourg, 1988
[4] Boris Cyrulnik, Le Murmure des fantômes, Odile Jacob, Paris, 2002
[5] Autobiographie de Sainte Gemma Galgani en français, disponible en ligne : http://www.stgemmagalgani.com/2009/11/autobiographie-de-sainte-gemma-galgani.html

samedi 16 mars 2019

7 motifs en faveur de la messe traditionnelle

Parfois, après une messe célébrée sous la forme ordinaire, le fidèle reste sur sa faim. L’intériorité, le sacré, l’intégration de la doctrine catholique dans l’homélie peuvent, entre autre, ne pas avoir été assez prégnants. A certains, la messe traditionnelle convient mieux et ce, pour plusieurs raisons.

A la suite du Concile Vatican II, de nombreuses célébrations se sont voulues très pastorales. Et pourtant, certains fidèles ne s’y retrouvent pas. Ils peuvent même être tentés d’abandonner la messe, tant celles qu’ils fréquentent correspondent peu à leurs besoins spirituels et à leurs attentes. Avant de découvrir la messe traditionnelle, c’est-à-dire sous la forme extraordinaire, ils tâtonnent parfois pendant longtemps. Dans les Vicariats et les paroisses où la messe est célébrée sous la forme ordinaire, bien souvent on évite d’indiquer aux fidèles qui l’ignoreraient l’existence de cette autre manière de célébrer, jugée souvent rétrograde, passéiste et surannée. Et c’est dommage, car un certain nombre de fidèles seraient bien plus assidus à se rendre à l’église, si c’était pour assister à des messes traditionnelles...

1. Un langage précis et rigoureux
Le langage doctrinal qui domine dans les messes (et surtout dans les homélies) sous la forme extraordinaire, est bien souvent plus rigoureux, plus précis et plus universel que celui des homélies des messes sous la forme ordinaire. Dans un souci pastoral, Vatican II a privilégié un « langage concret, narratif, affectif »[1]. Trop souvent, hélas, la « pastoralisation » des homélies a porté un coup à la richesse de la doctrine catholique.

2. Une participation intérieure
Sacrosanctum Concilium a voulu encourager la participation des fidèles. Il s’agissait essentiellement d’une participation intérieure, mais l’aspect extérieur l’a parfois emporté, comme si celle-ci n’avait d’autre fin qu’elle-même. Ne manque-t-elle pas alors son but, qui est bien de participer « à l’action de Dieu » ? C’est Dieu qui est le premier acteur lors de l’eucharistie : la participation du croyant à ce sacrement est d’abord une participation passive, car il s’agit d’une ouverture, d’une disposition à accueillir le don de Dieu, avant de devenir une participation active. En somme, l’obsession de la « participation active » a nui à la primauté de Dieu au sein même de la célébration, en inversant symboliquement les données de la foi.

Rappelons à ce propos que la messe a été instituée pour quatre fins : pour adorer Dieu; pour expier nos péchés; pour remercier Dieu de ses bienfaits; pour obtenir ses grâces. Toute idée de participation n’a donc de sens que si elle est ordonnée à ces fins.

3. Une « conversion » en mémoire du sacrifice du Christ
La messe n’est pas essentiellement un repas festif et convivial. La messe est une double commémoration : de la dernière Cène et du sacrifice de Jésus à la Croix, renouvelé de manière non-sanglante. Il est vrai qu’elle préfigure également le « repas des Noces de l’Agneau » (Ap 19, 7-10), mais la dimension sacrificielle ne peut être éclipsée. En effet les noces de l’Eglise et du Christ ne pourront avoir lieu qu’en raison du sang versé à la Croix. Lorsque le prêtre et l’assemblée se tournent ensemble vers l’autel, vers la Croix, vers l’Est[2], ils manifestent la conversion de leurs cœurs « tournés vers le Seigneur ». Ils expriment l’unité qu’ils forment en un seul peuple, l’Église, conscients de la nécessité de recevoir leur Salut de Dieu. Lorsqu’ils se font face, cette conversion est moins évidente. Or c’est à partir de la conversion de chacun que l’action sanctifiante de Dieu pourra se révéler dans la liturgie : le sacrifice (l’action de « rendre sacré ») est intimement lié à la conversion. 

Mais pourquoi avoir diminué ou affaibli la dimension sacrificielle ? Mgr Aillet relève, entre autres raisons, un élément d’explication : la  perte du sens du péché chez de nombreuses personnes. Pie XII ne dit-il pas que « Le péché de ce siècle est la perte du sens du péché » ? Pour que le sacrifice eucharistique puisse avoir lieu, pour qu’il ait du sens aux yeux du fidèle, celui-ci doit d’abord se reconnaître pécheur. Souligner l’aspect sacrificiel de la messe, c’est ainsi en manifester de manière claire et évidente l’aspect libérateur et salvifique.

4. Un profond respect pour le Christ-Eucharistie
Mgr Athanasius Schneider, dans son livre Corpus Christi, déplore l’irrévérence que traduit selon lui la manière de célébrer qui s’est répandue depuis Vatican II : le fidèle y reçoit l’hostie debout et dans la main, qu’il touche de ses doigts pour l’amener à sa bouche (soit comme un aliment ordinaire). Il note que « cette pratique moderne est la plus profonde des lacérations du corps mystique de l’Église du Christ »[3]. En fait, ce n’est pas le geste lui-même de toucher l’hostie qu’il déplore, non plus que la station debout de façon spécifique, mais le peu de cas que semblent faire les fidèles des Saintes Espèces. C’est en fait le minimalisme de la gestuelle pendant la célébration qu’il pointe du doigt. En revanche la manière traditionnelle de communier soutient la dimension de réception dans la relation entre le fidèle et le Christ, le rappel à l’humilité et enfin l’esprit d’enfance. Pour Mgr Schneider, s’agenouiller et déposer directement l’hostie dans la bouche des fidèles exprime l’attitude la plus adéquate pour recevoir la communion[4].
Autre problème fréquent: l’hostie est assimilée à un simple symbole religieux, puisqu’elle est consommée comme une nourriture commune, un fait qui témoigne selon Mgr Schneider de la diminution de la foi en la transsubstantiation. Rappelons que le concile de Trente avait déclaré que, « dans le vénérable sacrement de la sainte eucharistie, après la consécration du pain et du vin, notre Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, est vraiment, réellement et substantiellement contenu sous l'apparence de ces réalités sensibles ». Comment accorder un respect divin à un morceau de pain si l’on n’accepte pas l’idée que, dans sa substance, il soit Dieu Lui-même?
Mgr Schneider dénonce en outre la perte des parcelles et le vol des hosties qui peut arriver avec la communion dans la main. Avec la communion dans la bouche en revanche, cela est impossible.

Notons aussi la nécessité de l'état de grâce pour communier. La communion à genoux et dans la bouche n’aurait pas de sens si le communiant avait sur la conscience des péchés qu’il n’aurait pas confessé auparavant. Pour essentielle qu’elle soit, la gestuelle au moment de la célébration n’en éclipse donc pas pour autant l’importance des dispositions intérieures pour recevoir la communion de manière adéquate. Les fidèles donc invités à se confesser régulièrement. Si l’on reproche souvent aux messes d’avant Vatican II un certain rubricisme, la confession doit, en se consacrant aux dispositions intérieures du fidèle, écarter toute idée que le rite de la communion n’aurait de sens que pour lui-même, alors qu’il vise essentiellement la sanctification du fidèle, à condition que celui-ci se mette dans les dispositions adéquates pour cela.

5. Le droit du plus faible
Parmi les arguments avancés par Mgr Schneider afin de défendre la célébration de la messe tridentine, le plus fort est peut-être celui, justement, du « droit du plus faible ». En s’incarnant, le Fils s’est rendu vulnérable jusqu’à la crucifixion. Lors de la messe, il se fait Jésus-Eucharistie : quoi de plus fragile, quoi de plus vulnérable qu’une petite hostie ? Et pourtant, c’est précisément parce que Dieu est présent dans la fragilité de l’hostie qu’il faut la respecter infiniment. C’est là le « droit du plus faible dans l’Église » :
« Le fait que la Sainte Hostie soit si petite n’autorise personne à la traiter avec légèreté. L’être le plus petit, le plus fragile, le plus sans défense aujourd’hui dans l’Église, c’est le Seigneur sous les espèces eucharistiques au moment de la Sainte Communion. On peut avancer des raisons pastorales en faveur de la poursuite de la pratique de la communion debout et dans la main comme, par exemple, le droit des fidèles. De tels droits, cependant, violent les droits du Christ, le seul Saint, le Roi des Rois : Lui a le droit de recevoir l’excellence des honneurs divins, y compris dans la petite et sainte hostie. Voici quel est le droit du plus faible dans l’Église. »[5]

Par ailleurs Mgr Schneider rappelle qu’il serait inadéquat de prétendre que nos dispositions intérieures peuvent s’épanouir sans être reflétées dans nos gestes et nos attitudes extérieures. Ces deux aspects forment une unité et la foi en l’Incarnation s’oppose à ce que l’un soit dissocié de l’autre. Contrairement au docétisme ou au gnosticisme, la doctrine catholique de l’Incarnation exprime plutôt que Dieu n’est pas seulement une réalité spirituelle qui viendrait habiter le corps sans qu’aucune interaction ne se crée avec la réalité matérielle : Il est également le corps et la matière. L’Incarnation de Jésus-Christ se présente comme le modèle de la dignité humaine, qui interdit que l’on puisse traiter la matière, le corps, comme si elle n’entretenait aucun lien avec le sacré et le divin.

6. L’importance du latin
Le théologien Christoph Theobald rappelle l’importance du latin, « patrimoine commun à tous les peuples d’Occident » et « langue de communication » pendant des siècles : « Tout se faisait en latin : la liturgie d’abord, mais aussi la théologie et le droit de l’Église. La langue du Concile lui-même était le latin. »[6] Garantissant une « certaine uniformité dans la pensée, la célébration et l’action de l’Église », Christoph Theobald note que l’ « on pouvait se trouver à Paris, à New York ou à Melbourne, dans un petit village de l’Aveyron ou dans un hameau d’Afrique centrale, partout on était immédiatement chez soi, avec cette impression forte chargée d’émotion : c’est la même Église dans le monde entier ».  Et d’ajouter : « Le fait que très peu de gens comprenaient réellement les textes n’était pas ressenti, à l’époque, comme une véritable gêne ; la présence sacrée du "mystère" en était plutôt renforcée. » Mgr Aillet explique dans le même sens que : « L’emploi du latin, que ce soit dans l’ancien ou dans le nouveau missel, peut être un moyen de mettre en relief ce caractère sacré et mystérieux, comme un voile léger qui fait qu’on ne touche pas à main nue le mystère. […] On pourrait comparer l’usage du latin à celui par nos frères orientaux de l’iconostase. Celle-ci souligne de façon éloquente le caractère éminemment transcendant et mystérieux de ce qui s’accomplit durant la célébration. »[7]
Le Concile Vatican II ne prévoyait d’ailleurs pas la suppression totale du latin lors de la messe. Au contraire, on peut lire dans la constitution Sacrosanctum concilium que, si la langue du pays peut y trouver une « large place », « l’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins [c'est-à-dire les rites "occidentaux", dont fait partie le rite romain sous ses deux formes: ordinaire et extraordinaire] »[8].
À propos de la disparition du latin, notons enfin le problème des limites inhérentes à toute traduction,[9] quoique la messe de Paul VI ne soit pas une simple traduction de la messe de Paul V : elle a été remaniée de bien des façons.

7. Le chant grégorien
Le chant grégorien a disparu de nombreuses célébrations sous la forme ordinaire, particulièrement en ce qui concerne le « berceau du chant grégorien » : la France[10]. Mgr Nicola Bux fait ainsi remarquer que :
« [...] nous avons assisté à la disparition du répertoire musical traditionnel au profit de chansonnettes importées de la culture sécularisée, incompatibles avec l’Évangile. Avant le Concile, la musique liturgique devait lutter contre la trop grande influence de l’opéra, aujourd’hui elle est submergée par une musique légère et facile qui donne à certains l’illusion de pouvoir attirer des jeunes. La prépondérance excessive du rythme, la mièvrerie des paroles et l’utopie ou l’horizontalité mondaine en sont la marque. Ces chants ne manifestent plus le lien du quotidien à l’éternel, de devenir à l’être ou de la misère de l’homme à la miséricorde de Dieu. Ils sont davantage l’expression d’un christianisme décadent.
Le pape Benoît XVI, grand connaisseur de la musique sacrée, donne son avis sur la décadence du chant depuis la fin du Concile : il faudrait rendre à la liturgie catholique l’importante tradition musicale qui, partant du chant grégorien jusqu’à la polyphonie, de la renaissance du baroque à Bruckner, a permis de soutenir la prière dans les monastères, les cathédrales, les églises. »[11]

Pour Mgr Bux, « sans le chant grégorien, le patrimoine musical de l’Église catholique est mutilé »[12]. Or dans les messes sous la forme extraordinaire, le chant grégorien a conservé toute son importance.

Conclusion

A travers ces sept motifs, l'attachement de certains fidèles à la messe traditionnelle semblera, je l'espère, moins étrange et moins passéiste. Sans doute bon nombre de catholiques peuvent participer à des messes sous la forme ordinaire tout en la vivant de manière très intérieure et avec un grand respect pour le Christ. Sans doute la symbolique de ce type de célébration leur convient-elle, ainsi que le choix des chants, l'abandon du latin, etc. Mais d'autres ont besoin de la messe traditionnelle. Il est dommage que, comme cela arrive parfois, le désir de se rapprocher de la Tradition soit ressenti comme un rejet, ou que ce sujet fasse l’objet de tensions, voire de tabous. Choisir la messe traditionnelle ne découle pas d’un esprit d’opposition, mais d’un amour sincère du Christ et du besoin de vivre cet amour, entre autres, à travers des symboles et des rites qui donnent une place prépondérante au sacré, au sacrifice, à l'humilité du fidèle devant Dieu et devant les mystères divins. L'amour du Christ se manifeste alors dans la liturgie, et particulièrement au moment de l’eucharistie, par l'agenouillement et la communion dans la bouche. A propos de l'eucharistie, saint Thomas d’Aquin écrivait que « dans ce Sacrement se résume tout le mystère de notre salut » (Somme théologique, II, q. 83, a. 4c.). Ne s’agit-il pas simplement de nous rapprocher et de vivre, de la manière qui nous convient, du cœur la foi chrétienne ?

Madeleine-Marie Humpers 

Image: CC-BY Academia Christiana (Messe solennelle dans la forme extraordinaire du rite romain, en actions de grâce pour les 25 ans de la fraternité sacerdotale Saint-Pierre dans l'église Saint Sulpice à Paris)




[1] Mgr Marc Aillet, Vatican II. Le Concile en questions, Artège, 2015, p. 35
[2] Traditionnellement l’autel symbolise ceci que « Jésus-Christ est la pierre angulaire de l’Église ». Cette image du Christ comme pierre angulaire a donné lieu dès le VIème siècle à la construction des autels exclusivement en pierre. Pour le prêtre, il s’agit, en se tournant vers l’autel, de se tourner vers le Christ, vers Dieu, symbolisé par cet autel de pierre, ainsi qu’en direction de la Croix.
Bien souvent, selon l’orientation des églises, cela revient également à prier en direction de l’Est, vers le soleil levant, comme l’explique le futur pape Joseph Ratzinger : « Les chrétiens ne prient pas en direction du Temple, mais en direction de l'Est: le soleil levant, qui triomphe de la nuit, symbolise le Christ ressuscité et les chrétiens y voient en même temps le signe de son retour. Dans son attitude de prière, le chrétien exprime son orientation vers le ressuscité, qui est le véritable point de référence de sa vie avec Dieu. » (Joseph Ratzinger - Benoît XVI, Un chant nouveau pour le Seigneur. La Foi dans le Christ et la liturgie aujourd'hui, Paris, Desclée-Mame, Paris, 1995, p.119)
[3] Mgr Athanasius Schneider, Corpus Christi, Renaissance catholique, coll. « Contretemps », La Plaine Sainte Denis, 2014 [2013], p.47
[4] « Ce geste  signifie que c’est le Christ dans la personne même du prêtre qui nourrit les fidèles. En outre, ce geste entend nous rappeler à l’attitude d’humilité et à l’esprit d’enfance spirituelle que Jésus Lui-même exige de ceux qui veulent entrer dans le Royaume de Dieu (Matt XVIII, 3) » (Mgr Athanasius Schneider, op. cit., p. 51)
[5] Mgr Athanasius Schneider, op. cit., p. 58-59
[6] Christoph Theobald, « Du latin aux langues de la Pentecôte » (septembre 2012) - disponible en ligne à l’adresse :  https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Vatican-II/Les-grandes-avancees/L-Eglise-renonce-au-latin
[7] Mgr Marc Aillet, La Liturgie de l'Esprit, Artège, 2012, p. 24-25
[8] Sacrosanctum concilium, n°36. La langue liturgique :
1. L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins.
2. Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ; on pourra donc lui accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants, conformément aux normes qui sont établies sur cette matière dans les chapitres suivants, pour chaque cas.
[9] Cf. Florian Michel, Traduire la liturgie, Paris, CLD, 2013
[10] Comme l’écrit Sœur Adeline de l’abbaye ND de Wisques, sur le site du Diocèse d’Arras : « Paul VI, qui s’était alarmé bien avant l’État français de la disparition du chant grégorien en France, avait supplié Dom Jean Prou (Abbé de Solesmes, supérieur de notre Congrégation de 1959 à 1992) de garder vivant ce trésor dans sa congrégation » - Sœur Adeline de l’abbaye ND de Wisques, maîtresse de Choeur, « Le chant grégorien » (21 mai 2009) - disponible en ligne à l’adresse : http://arras.catholique.fr/page-17147.htm
[11] Mgr Nicola Bux, La foi au risque des liturgies, Paris, Artège, 2011 [2010], pp. 67-68
[12] ibid., p. 69

Stérilité. Faire le deuil de la maternité

Espérer fonder une famille, et se découvrir stérile. Souhaiter devenir mère, et apprendre que cela n’aura pas lieu. La stérilité (...